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« Pour Pékin, le commerce et la politique sont inséparables »

Tribune. Décembre 1858 : le journal satirique Le Charivari publie la caricature d’un gros bourgeois chinois avalant de l’opium servi par un marchand européen. L’empire du Milieu se trouve alors littéralement à genoux, dépendant de l’opium importé de l’Ouest. Pourtant, des réformateurs chinois avaient averti de cette dangereuse dépendance. « Si l’agression militaire peut ruiner un peuple, suggérait l’entrepreneur Zheng Guanying (1842-1922), il est clair que l’agression commerciale peut ruiner un peuple invisiblement. »

2021 : le vent aurait-il tourné ? L’Europe serait-elle à son tour tombée dans le piège de la décadence et de la dépendance auxquelles la Chine a échappé par son ambitieuse politique d’industrialisation ? L’Europe sera-t-elle capable de résister à l’offensive commerciale de Pékin, qui sera inévitablement suivie par la croissance de son influence politique et militaire ? Le problème de l’Europe n’est même pas qu’elle ne voit pas le péril, mais qu’elle ne sait plus comment réagir.

Certes, l’Europe et la France ont empêché le géant des télécoms Huawei de se nicher dans leurs réseaux 5G. Une loi française de 2020 a exclu l’entreprise des parties vitales du réseau et des grandes villes. Mais cela n’a pas stoppé la « route de la soie numérique ». Orange, par exemple, a affirmé son intention de poursuivre sa coopération avec Huawei pour maximiser sa marge de manœuvre dans les autres Etats membres et pénétrer le marché africain. L’opérateur français s’est associé avec une autre entreprise chinoise pour tirer un câble sous-marin du Pakistan à Marseille…

Technocratie ou stratégie

La limitation des activités de Huawei n’est qu’une bataille dans la vaste guerre de pouvoir économique et, plus largement, de domination mondiale. L’Europe tend à se focaliser sur des batailles limitées et à ne prendre que des mesures limitées, alors que la stratégie chinoise est de long terme et globale. Sur le contrôle des investissements stratégiques, la réponse européenne paraît forte, mais sa mise en œuvre dépend de chaque Etat membre, qui manquent souvent de moyens et de volonté. De plus, l’approche chinoise devient plus inventive, utilisant les fonds d’entreprises intermédiaires ou se limitant à des participations minoritaires.

L’Europe se fie à ses mesures de défense commerciale, comme les procédures antidumping, alors même qu’elles sont rarement utilisées et que la Chine recourt beaucoup à d’autres moyens pour promouvoir ses exportations, comme les crédits à l’export, la manipulation de sa monnaie, sa politique industrielle et la protection de son vaste marché pour renforcer sa place centrale dans les chaînes de production. Pour l’Europe, le commerce reste une matière technocratique ; pour la Chine, c’est une question stratégique.

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