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Autorité de la concurrence: les raisons du départ d’Isabelle de Silva

groupe TF1 est vu comme un soutien du pouvoir en place. L’éviction d’Isabelle de Silva serait alors une preuve d’amour offerte à Bouygues », élabore le patron d’un grand groupe audiovisuel.

Si cette piste était la bonne, la décision aurait été pour le moins maladroite, voire inefficace… Car les décisions de l’Autorité de la concurrence sont le consensus d’un collège de 17 personnes. « Ce sont les services d’instruction qui donnent les impulsions aux dossiers, pas le président, souligne un avocat spécialiste de la concurrence. De plus, les décisions sont soumises in fine au Conseil d’Etat, qui tranche ». Mais le patron d’un groupe de médias concurrent n’en démord pas. Pour lui, l’éviction d’Isabelle de Silva visait à favoriser la création de ce gros animal médiatique: « Elle a manqué de prudence, TF1 s’en est beaucoup plaint… Et rappelons aussi que le président de l’Autorité peut aller à l’encontre des décisions des services d’instruction, nous en avons vu dans notre secteur plusieurs exemples ».

Dans tous les cas, l’éviction d’Isabelle de Silva devrait plutôt pénaliser que favoriser le projet de fusion. Car son successeur devra traiter avec la plus grande des précautions ce dossier entouré dorénavant d’un halo de suspicion. Dans ce contexte, il pourrait décider de « remèdes » très importants –obliger les deux parties prenantes à vendre des pans d’activités-, ce qui pourrait compromettre l’intérêt d’un tel rapprochement. Pour un membre du Conseil d’Etat, l’idée d’un geste politique destiné à favoriser le rapprochement TF1-M6 est une fausse piste. « Le dossier a été instrumentalisé par les concurrents de TF1 et tout le monde est tombé dans le panneau », s’énerve-t-il.

Hypothèse n°2: la rivalité inspection des Finances-Conseil d’Etat

CAPILLOTRACTE

C’est une tradition bien établie sous la Ve République: la tête de l’Autorité de la concurrence est assurée par un conseiller d’Etat. Emmanuel Macron aurait-il cherché à tordre le cou à cette habitude, en nommant par exemple un inspecteur des Finances, le corps dont il est lui-même issu?  « On parle de Muriel Lacoue-Labarthe, une proche du chef de l’Etat. L’idée serait d’en finir avec la mainmise du Conseil d’Etat », souffle un avocat spécialiste du droit de la concurrence. Actuellement directrice générale adjointe du Trésor, elle avait dirigé en 2004 le bureau des concentrations de la DGCCRF.  « Absurde, balaie un proche du président de la République. C’est très mal connaître le fonctionnement d’Emmanuel Macron qui est très libre dans ses choix et se moque des guéguerres de clans. »

Hypothèse n°3: l’inimitié de Bruno Lasserre

PICROCHOLIN

Un grand classique: admettre que votre successeur a réussi dans le fauteuil que vous occupiez, c’est reconnaître que vous n’étiez pas irremplaçable. Une blessure d’ego. Une autre rumeur voudrait donc que Bruno Lasserre, l’ex-président de l’Autorité de la Concurrence et actuel vice-président du Conseil d’Etat, ait utilisé son crédit auprès du chef de l’Etat pour dézinguer sa remplaçante. Le haut fonctionnaire se serait « appliqué à lui savonner la planche », selon Le Canard Enchaîné. Signe de cette inimitié, Bruno Lasserre a snobé le pot de départ d’Isabelle de Silva, où se trouvaient « tous les patrons des médias, de la distribution et des télécoms », confie à Challenges un des invités.

S’il est difficile de juger de la sincérité des relations entre Isabelle de Silva et son successeur, celui-ci avait du moins ouvertement soutenu sa candidature en 2017. L’appui initial se serait-il transformé en inimitié, jusqu’à précipiter la disgrâce de la présidence? C’est probablement accorder beaucoup de poids à l’influence de Bruno Lasserre. 

Hypothèse n°4: une mauvaise alchimie personnelle avec le président

TRES PLAUSIBLE

Et si le geste du président était dicté, tout simplement, par une mésentente personnelle avec l’ex-présidente de l’autorité? Isabelle de Silva n’a commis aucune erreur manifeste. Cette énarque de 51 ans était saluée par les professionnels de la concurrence pour sa rigueur et son envergure internationale. « Quinze jours avant son éviction, elle avait été félicitée par Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances », rappelle un grand patron.

Mais le chef de l’Etat, lui, n’était pas convaincu, confie à Challenges un proche du dossier. Il lui reprochait de ne rien laisser filtrer de sa vision sur les dossiers en cours, de ne pas donner d’indices ou de ligne directrice. « Quand elle rencontrait le président, elle prenait des notes et s’il lui demandait comment elle voyait un dossier, elle restait mutique. Il la trouvait indécise et peu claire. » Pas assez lisible ou pas assez docile?  

« Le patron d’une autorité indépendante n’a pas à s’exprimer sur les dossiers en cours, même auprès du chef de l’Etat, la défend le patron d’un grand groupe ayant régulièrement affaire à l’Autorité. Et si Bruno Lasserre avait donné aux marchés l’habitude de fournir des indices, ce n’est pas une obligation liée à cette fonction. Il reste compliqué de donner un point de vue à l’avance sur un dossier. »

A cette mauvaise alchimie personnelle, se sont probablement ajoutées aussi des arrière-pensées politiques. La volonté par exemple de se démarquer d’un choix fait par François Hollande, qui avait nommé Isabelle de Silva. « Macron a voulu exercer son privilège, il ne voulait pas se mettre dans les pas de son prédécesseur, observe un proche de l’Elysée. De plus, elle s’est consacrée à des dossiers numériques très compliqués, très sophistiqués, auxquels personne ne comprend rien. On a beaucoup moins entendu parler de concurrence dans la vie des gens. » Ah, le bon vieux temps où l’Autorité s’attaquait au cartel du jambon ou aux lessives…

Très offensive sur la régulation des Gafa, la présidente de l’Autorité laissera-t-elle la place à un remplaçant plus laxiste sur ces sujets, certes techniques, mais stratégiques?  « L’intérêt pour le numérique n’exclut pas les dossiers grand public », objecte cette même source. « Ce mouvement d’humeur va se retourner contre Emmanuel Macron et compromettre la fusion TF1-M6 », conclut un bon connaisseur des arcanes du pouvoir.

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