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Récolte de feuilles d’eucalyptus destinées à la production d’huile essentielle dans le sud-est du Rwanda, à Gahara, en octobre 2021. PIERRE LEPIDI
Autour de l’immense alambic chauffé au feu de bois, un parfum agréable embaume l’air. « C’est de l’eucalyptus, explique Isaac Rutibana, agronome. Nous avons entassé les feuilles dans la cuve, ajouté de l’eau, et après un processus de distillation nous obtiendrons l’huile essentielle à l’extrémité de ce tuyau. »
Dans un coin du hangar de tôles, des jerricans vides attendent de recevoir le précieux liquide dont une partie s’envolera vers les Etats-unis, le Canada ou l’Allemagne. Il servira à la production de parfums et de produits de bien-être.
Depuis une dizaine d’années dans ces collines du sud-est du Rwanda, l’huile essentielle vaut de l’or. Qu’elle soit d’eucalyptus, de géranium, de citronnelle, de tagète ou de patchouli, la production a changé le quotidien des habitants de Gahara, un secteur situé à 130 kilomètres de Kigali, dans le district de Kirehe. Près de 150 personnes travaillent aujourd’hui dans ces champs où l’on récoltait autrefois uniquement de quoi subvenir aux besoins de sa famille.
« Il n’a pas été facile de faire passer les cultivateurs d’une agriculture vivrière à une agriculture commerciale, se souvient Nicolas Hitimana, directeur de la société Ikirezi Natural Products. Même si elles sont produites en petites quantités, les huiles essentielles ont une très grande valeur. Sur un petit espace, on peut donc gagner beaucoup d’argent. La perspective de rendements intéressants a convaincu les plus sceptiques. »
Des projets plein la tête
Si la culture du haricot sur un hectare permet de gagner environ 1 700 euros par an, celle du géranium peut rapporter jusqu’à trois ou quatre fois plus en fonction des cours. Dans les plantations de patchouli, les cultivateurs ont des projets plein la tête. En fonction de leur expérience, les salariés perçoivent chaque mois entre 22 et 35 euros, contre 6 euros lorsqu’ils cultivaient des haricots ou de la patate douce. L’envie de fuir les collines verdoyantes pour s’installer à Kigali, la capitale, en quête d’un avenir meilleur a quasiment disparu.
« Les huiles essentielles ont changé ma vie, se félicite Claudine Nyirambabazi, 45 ans. Je gagne 33 euros par mois alors qu’à l’époque où je cultivais la patate, j’avais à peine de quoi manger. Je me demandais tous les jours comment j’allais nourrir mes quatre enfants. Aujourd’hui, je peux épargner pour ma retraite ou en cas de coup dur. Et je n’habite plus dans une hutte mais à l’intérieur d’une maison en tôle. »
Culture de patchouli destinée à la production d’huile essentielle dans le sud-est du Rwanda, à Gahara, en octobre 2021. PIERRE LEPIDI
Créé en 2005, le projet était d’abord destiné aux veuves du génocide des Tutsi qui a fait près d’un million de morts au printemps 1994. Aujourd’hui, il se veut communautaire et s’oriente vers toutes les personnes dites vulnérables dans un pays classé, en 2020, à la 160e place sur 189 en termes d’indice de développement humain par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Amputée d’un bras, Boudeciane Nyirabarera, 64 ans, a acheté plusieurs parcelles grâce au salaire de quelque 26 euros qu’elle perçoit. « J’ai réussi à investir dans trois champs sur lesquels j’ai planté du manioc, du maïs et des haricots, indique t-elle. Grâce à l’ensemble de mes revenus, j’ai fait construire une nouvelle maison. » Grégoire Barayamenye, 62 ans, se dit « heureux et serein » depuis qu’il vit dans une habitation raccordée à l’électricité et qu’il peut « s’offrir des habits ou des médicaments » lorsqu’il va au marché.
« Quatre récoltes par an »
La société Ikirezi, du nom d’une perle que possédaient certains membres de la noblesse rwandaise, a connu des débuts difficiles. « Les premières huiles produites ne répondaient pas aux normes et ne pouvaient pas être commercialisées, se souvient Nicolas Hitimana. Nous avons donc fait venir des plants de géranium d’Afrique du Sud et, heureusement, ils se sont très bien adaptés. » En 2014, le Rwanda s’est doté d’un laboratoire permettant de tester en permanence la qualité des huiles produites et s’assurer ainsi qu’elles répondent bien aux critères internationaux.
La culture destinée aux huiles essentielles est exigeante car elle demande de planter, sarcler, biner ou irriguer à des moments très précis du développement de la plante. « Cette exigence explique pourquoi il y a une haute valeur commerciale mais pas seulement, explique Nicolas Hitimana. Au Rwanda, nous pouvons faire quatre récoltes par an contre deux en Afrique du Sud. » Après une production d’huiles essentielles décevante en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19 (3 tonnes), Ikirezi, aujourd’hui seul producteur du pays, espère atteindre 12 tonnes en 2021 et une croissance de son chiffre d’affaires de 30 %.
Dans un marché mondial des huiles essentielles en constante augmentation (environ 8 milliards de dollars en 2018), les cultures rwandaises de tagetes ou de citronnelle ont de beaux jours devant elles, même si la demande locale reste faible : 80 % de la production est destinée à l’exportation. Fin 2021, une partie de la production de patchouli doit s’envoler pour le Canada où la marque The 7 Virtues a créé un parfum baptisé Patchouli of Rwanda.
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