Les Européens accusent le dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko, d’avoir nourri une vaste crise migratoire à la frontière polono-biélorusse en délivrant des visas à des réfugiés et en les y acheminant. Il se vengerait ainsi des sanctions européennes adoptées envers son pays pour dénoncer sa politique de répression de l’opposition depuis l’élection présidentielle de 2020.
L’accès à la zone frontalière a été bloqué pour les journalistes et les ONG, mais des images diffusées par les autorités des deux pays montrent des centaines de personnes dans des tentes, allumant des feux pour se réchauffer sous des températures glaciales.
La Pologne a annoncé, mercredi 10 novembre, avoir lancé un coup de filet contre des migrants massés à la frontière, en interpellant une cinquantaine d’entre eux. Varsovie a également signalé une hausse des tentatives de passage de la frontière et affirmé que certains réfugiés avaient réussi, sans en préciser le nombre.
Mardi, le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a clairement accusé le président russe, Vladimir Poutine, principal allié de Minsk, d’être le « commanditaire » de cette vague migratoire. Des accusations qualifiées d’« irresponsables et inacceptables » par le Kremlin. Mercredi, M. Morawiecki est allé plus loin, accusant la Biélorussie de « terrorisme d’Etat ».
De son côté, la chancelière allemande, Angela Merkel, a demandé à Vladimir Poutine, lors d’un entretien téléphonique, « d’agir » contre « l’instrumentalisation inacceptable et inhumaine » des migrants par le régime de Loukachenko.
Que se passe-t-il à la frontière polono-biélorusse ?
Sur une vidéo postée sur Twitter, lundi 8 novembre, par le ministère de la défense polonais, on peut voir plusieurs centaines de migrants massés à proximité du point de passage de Kuznica, un village frontalier de la Biélorussie.
Grupa migrantów znajduje się obecnie w okolicach Kuźnicy https://t.co/w5VxXp9QqQ
— MON_GOV_PL (@Ministerstwo Obrony Narodowej ??)
Une autre vidéo montre des réfugiés tentant de forcer les barrières frontalières à l’aide de cisailles, de pelles ou encore de branches d’arbre. Les gardes polonais, appuyés par la police et l’armée, répliquent par des jets de gaz lacrymogène.
Kuźnica: próba sforsowania polskiej granicy https://t.co/kqCkLPdsiK
— MON_GOV_PL (@Ministerstwo Obrony Narodowej ??)
Selon plusieurs témoignages, des gardes-frontières biélorusses ont tiré en l’air pour obliger les migrants à avancer. Sur certaines vidéos, on voit des hommes masqués et armés apporter une aide logistique et fournir des outils aux réfugiés.
Lundi soir, les autorités polonaises assuraient qu’entre 3 000 et 4 000 migrants se trouvaient actuellement dans cette zone frontalière, côté biélorusse, et qu’une quinzaine de milliers d’entre eux seraient encore éparpillés à travers le pays. Il s’agirait principalement de Kurdes irakiens et de Syriens, cherchant à fuir leur pays qui s’enfonce dans la guerre civile.
La situation n’est pas récente. Depuis cet été, la frontière polono-biélorusse est le théâtre d’une importante crise migratoire et le sujet de tensions entre Varsovie et Minsk. Mais ces derniers jours, le ton est monté entre les deux pays.
Une crise migratoire qui a commencé cet été
« La situation est complexe », prévient Georges Mink, directeur de recherche émérite à l’Institut des sciences sociales du politique (CNRS), spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Le dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko, explique-t-il en substance, a orchestré au début du mois d’août l’arrivée d’une vague de réfugiés, venus principalement du Moyen-Orient, en réponse aux sanctions économiques imposées par l’Union européenne (UE) après sa répression brutale de l’opposition – ce qu’il dément. Depuis, la pression migratoire sur les frontières polonaises, mais aussi lituaniennes, ne cesse de croître.
« En agissant ainsi, Loukachenko cherche à imposer ses conditions à l’UE. Il dit aux Etats membres : “J’arrête, mais seulement si vous levez vos sanctions et que vous me reconnaissez comme le seul dirigeant légitime en Biélorussie.” », détaille le chercheur. Ainsi, le dictateur biélorusse « instrumentalise les migrants à des fins politiques ». Et si la situation s’envenime entre Varsovie et Minsk, « c’est tout simplement parce que la Pologne se trouve sur le couloir migratoire que Loukachenko a ouvert. Ce qu’il vise, c’est le cœur de l’Europe, pas la Pologne directement », souligne Georges Mink.
« Sceller la frontière polonaise relève de notre intérêt national. Mais aujourd’hui, c’est la stabilité et la sécurité de l’UE tout entière qui est en jeu », a, en ce sens, assuré, mardi, le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, sur Twitter. C’est la raison pour laquelle les autorités polonaises et européennes parlent d’une « attaque hybride » de la Biélorussie.
Des centaines de réfugiés pris entre deux feux
La Pologne a envoyé environ 15 000 soldats à la frontière, y a construit une clôture de fil de fer barbelé rasoir et appliqué un état d’urgence, interdisant aux journalistes et aux ONG d’y accéder. Rares sont les images et les informations non officielles qui sortent de ce territoire frontalier, long de 400 kilomètres, devenu une zone de non-droit.
Des témoignages de migrants arrivés en Pologne parlent de la violence et des menaces des autorités biélorusses pour les pousser à traverser la frontière et les empêcher de revenir en arrière. Dans le même temps, des vidéos prises côté biélorusse dévoilent la brutalité des refoulements effectués par les Polonais. Plus de 90 % des réfugiés arrêtés côté polonais sont renvoyés à la frontière et laissés en pleine forêt. Ces refoulements (pushbacks) sont illégaux au regard du droit international, mais largement pratiqués aux frontières de l’UE. Le 14 octobre, le Parlement polonais a amendé la loi migratoire en légalisant ce procédé, ce qui a été dénoncé par les juristes et les organisations non gouvernementales comme une violation flagrante de la convention de Genève.
Démunis et désespérés, ballottés d’une frontière à l’autre, les migrants n’ont d’autre solution que d’emprunter les sentiers dangereux, à travers les marais, les lacs et l’immense forêt de Bialowieza. Depuis l’été, au moins dix migrants sont morts dans la région, dont sept du côté polonais de la frontière, selon le quotidien polonais Gazeta Wyborcza. D’après certaines ONG, le bilan pourrait être plus élevé. « Dans cette crise, les migrants sont les otages de la politique menée par Loukachenko », résume Georges Mink.
Loukachenko pris à son propre piège ?
Selon les gardes-frontières de Minsk, ces milliers de migrants sont désormais entassés, sous une température approchant zéro degré, dans un camp improvisé côté biélorusse.
Mardi, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a martelé que son pays « ne se mettra pas à genoux » devant l’UE, tout en assurant qu’il « ne cherchait pas la bagarre », conscient du risque d’engrenage en cas de conflit armé. Peu auparavant, M. Loukachenko s’était entretenu avec son allié russe Vladimir Poutine, auquel il s’est plaint du déploiement « particulièrement préoccupant » de troupes polonaises à la frontière, selon le Kremlin.
Pour Georges Mink, le dirigeant biélorusse pourrait bien être pris à son propre piège :
« Loukachenko a toujours joué un double jeu : quand les tensions sont trop fortes avec l’Europe, il se tourne vers la Russie. Mais, actuellement, ses relations ne sont pas au beau fixe avec Moscou. Pour Poutine, soutenir Loukachenko reviendrait à entrer en guerre avec toute l’Europe, ce qui n’est pas dans son intérêt. »
D’une certaine façon, la stratégie de Loukachenko s’est avérée « trop efficace », selon le chercheur. « Il est aujourd’hui débordé par l’afflux de réfugiés sur son territoire. Et sa politique irresponsable a transformé la frontière polono-biélorusse en véritable poudrière », assène-t-il.
Comment l’Europe réagit-elle ?
L’Union européenne a suspendu, mardi, des dispositions visant à faciliter la délivrance de visas pour les fonctionnaires du régime biélorusse. Une mesure qui « n’affectera pas » les citoyens biélorusses « ordinaires », a précisé le Conseil de l’UE.
« Nous condamnons et rejetons fermement la poursuite de l’instrumentalisation de la migration par le régime biélorusse. Il est inacceptable que la Biélorussie joue avec la vie d’êtres humains à des fins politiques », a, par ailleurs, déclaré le ministre de l’intérieur slovène Ales Hojs, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UE.
En outre, Bruxelles a annoncé, mardi, surveiller vingt pays, dont la Russie, pour leur possible rôle dans l’acheminement de migrants vers la Biélorussie. Les autres pays visés sont l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Azerbaïdjan, la Côte d’Ivoire, l’Inde, l’Iran, le Kazakhstan, la Libye, le Maroc, le Nigeria, l’Ouzbékistan, le Qatar, le Sénégal, la Somalie, le Sri Lanka, la Syrie, la Tunisie, le Venezuela, le Yémen. L’UE s’intéresse, en particulier, à la fréquence des vols organisés depuis ces pays et à leur taux d’occupation.
La veille, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait appelé les Etats membres à approuver de nouvelles sanctions contre les autorités biélorusses et à envisager des mesures contre les compagnies aériennes qui acheminent des migrants en Biélorussie. Les nouvelles sanctions doivent être discutées lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères de l’UE, le 15 novembre.
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