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Chine : Xi Jinping invoque l’histoire pour légitimer son pouvoir

Publié le : 08/11/2021 – 17:23

À l’occasion du grand raout annuel du Parti communiste chinois, qui a débuté lundi, Xi Jinping doit faire valider sa résolution historique sur « les grandes réalisations » du parti. Seuls Mao Zedong et Deng Xiaoping avaient osé, avant lui, réécrire ainsi l’histoire politique du pays. Une initiative qui doit lui permettre de faire passer la pilule d’un troisième mandat personnel.

Un précis d’histoire revu et corrigé par Xi Jinping. Le président chinois doit présenter une résolution sur l’histoire du Parti communiste chinois à l’occasion du sixième plénum du comité central du parti, qui débute lundi 8 novembre et durera quatre jours.

Ce sera même le point central de ce grand raout qui regroupe les 300 plus importants cadres du régime chinois. Le détail de ce document n’est pas encore connu, mais il devrait s’agir d’une « réinterprétation de certains événements historiques chinois récents », explique Marc Lanteigne, spécialiste de la politique chinoise à l’université arctique de Norvège, contacté par France 24. 

Dans les pas de Mao et Deng Xiaoping

Difficile d’imaginer qu’un document retraçant les « grandes réalisations » du Parti communiste chinois puisse devenir le plat de résistance du menu de l’un des plus importants sommets annuels des instances dirigeantes du pays.

Pourtant, « c’est un document extrêmement important car ce ne sera que la troisième fois en 100 ans d’histoire du parti qu’un dirigeant chinois s’autorise ainsi à publier une telle résolution », rappelle Olivia Cheung, spécialiste de l’histoire politique contemporaine chinoise à la School of Oriental and African Studies de l’université de Londres, contactée par France 24.

Avant Xi Jinping, seuls Mao Zedong et Deng Xiaoping s’étaient aventurés sur le sentier de la réécriture historique. En 1945, le fondateur de la Chine communiste avait ainsi utilisé l’arme de la résolution historique pour critiquer l’action passée de ses opposants (qu’il avait, par ailleurs, fait arrêter) et pour affirmer le principe de son autorité absolue sur le parti. 

Près de quarante ans plus tard, en 1981, Deng Xiaoping avait osé critiquer la révolution culturelle menée par Mao Zedong entre 1965 et 1976, tout en posant les fondements de ses réformes politiques et économiques.

Leurs cours d’orthodoxie historique ont donc toujours « marqué profondément le paysage politique et social chinois », souligne The Guardian.

Pas étonnant que Xi Jinping décide de dégainer la même arme historique. C’est pour lui, tout d’abord, une nouvelle manière de marcher dans les pas de deux de ses plus illustres prédécesseurs. Il l’avait déjà fait lors de célébrations des 100 ans du Parti communiste en juillet 2021 et aussi à l’occasion du 19e congrès du parti en 2017, lorsqu’il avait fait inscrire ses « idées » dans les statuts du parti aux côtés de celles de Mao Zedong et Deng Xiaoping.

C’est devenu une idée fixe pour le président chinois. Il veut créer une sorte de Sainte-Trinité des dirigeants chinois lui permettant d’établir une filiation idéologique entre lui et les deux autres grandes figures politiques de l’histoire de la Chine communiste. « Il y aurait ainsi eu une première ère politique – celle de la révolution avec Mao Zedong –, puis la deuxième ère qui correspond à celle des réformes de Deng Xiaoping et Xi Jinping incarnerait la troisième ère, celle de la consolidation du régime », expliquait en 2017 à France 24 Jean-Pierre Cabestan, spécialiste de la Chine et directeur du département d’études internationales à l’Université baptiste de Hong Kong.

Cours d’histoire pour ambitions personnelles

Mais il ne s’agit pas seulement « de cimenter sa place dans l’histoire politique du pays », assure Marc Lanteigne. Cette résolution devrait aussi servir l’agenda de Xi Jinping. D’abord, « en donnant de la légitimité à son ambition d’effectuer un troisième mandat », souligne le chercheur de l’université norvégienne.

C’est, en effet, l’un des sujets politiquement les plus sensibles en Chine. Xi Jinping devrait demander au prochain Congrès du parti, en 2022, de le laisser continuer à diriger le pays au-delà des deux mandats de cinq ans qui sont devenus la norme… depuis Deng Xiaoping.

L’un des points essentiels de la résolution historique de 1981 avait été de limiter le nombre de mandats afin d’empêcher qu’un autre dirigeant développe un culte la personnalité similaire à celui mis en place par Mao Zedong. « L’exercice collectif du pouvoir était très important aux yeux de Deng Xiaoping », souligne Olivia Cheung.

C’est un véritable casse-tête idéologique pour Xi Jinping. Il peut difficilement, en effet, vanter les mérites de son illustre prédécesseur tout en allant à l’encontre de son enseignement en briguant un troisième mandat. « Il est ainsi probable que la résolution historique de Xi Jinping revisite l’histoire du règne de Deng Xiaoping en minimisant l’importance des éléments qui pourraient nuire à son ambition de continuer à régner », estime Olivia Cheung.

Il y a aussi fort à parier que le cours d’histoire de Xi Jinping présente certains événements récents – à commencer par l’affrontement économico-politique avec les États-Unis ou la crise sanitaire – sous un jour menaçant afin de vendre l’idée « que ce ne serait pas le moment de changer de direction au risque de laisser des luttes de pouvoir fragiliser le parti », affirme Marc Lanteigne.

Vade retro « nihilisme historique »

D’après ce chercheur, cette résolution devrait aussi être l’occasion pour le président chinois d’inscrire son nouveau mantra politique – la « prospérité commune » – dans une certaine logique historique. À cet effet, Xi Jinping ne devra plus seulement faire œuvre de réécriture ou de réinterprétation historique, mais plutôt de révisionnisme. Toute l’histoire économique chinoise récente tourne autour de la croissance économique à tout prix, quitte à creuser les inégalités. 

C’est tout l’inverse du concept de « prospérité commune » qui repose sur une croissance plus maîtrisée accompagnée d’un partage plus équitable des richesses. La résolution historique « va chercher à montrer que le parti a toujours eu la prospérité commune comme priorité afin de donner l’impression que Xi Jinping s’inscrit dans la continuité de l’histoire politique chinoise et non pas en rupture », analyse Marc Lanteigne.

Enfin, cette troisième résolution historique doit aussi devenir un bouclier contre ce que Xi Jinping perçoit « comme l’une des principales menaces qui planent sur le parti : le ‘nihilisme historique’ », assure Marc Lanteigne. Il s’agirait de lutter contre la tentation d’accepter plusieurs versions de l’histoire du Parti communiste chinois. Le cours d’histoire que Xi Jinping s’apprête à donner « doit servir d’étalon pour les années à venir, de standard duquel on ne peut dévier », résume Olivia Cheung. Et ce n’est pas qu’un détail car, comme le rappelle Marc Lanteigne, « Xi Jinping estime que le ‘nihilisme historique’ – c’est-à-dire accepter la remise en question du récit officiel – est ce qui a accéléré la chute du régime soviétique ».

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