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Près de la ville du Cap, en Afrique du Sud, le 1er novembre 2021. RODGER BOSCH / AFP
Vingt-sept ans après l’arrivée au pouvoir triomphal de Nelson Mandela sur les ruines du régime raciste de l’apartheid, pour la première fois de son histoire, le Congrès national africain (ANC) devrait rassembler moins de la moitié des électeurs sud-africains au cours d’une élection. Si le résultat final du scrutin municipal qui s’est tenu le 1er novembre n’est pas encore connu, l’ANC recueillait 46,2 % des votes à l’échelle nationale, mercredi 3 novembre, au matin alors que les deux tiers des bulletins étaient comptabilisés.
Le revers est historique mais le résultat n’est pas tout à fait une surprise pour le parti qui a essuyé la colère des Sud-Africains tout au long de la campagne sur fond de naufrage des services publics. Un peu partout dans le pays, les coupures d’électricité et d’eau se multiplient. Les infrastructures vieillissantes accumulent les avaries alors que les caisses des municipalités ont été vidées par une décennie de gestion calamiteuse et de corruption sous le mandat du président Jacob Zuma (2009-2018).
Dans le bastion de Soweto, le plus grand township de Johannesburg où il a investi une énergie considérable au cours de la campagne, le président Cyril Ramaphosa n’a eu de cesse de parer les coups. Vendredi, alors qu’il s’apprêtait à tenir son dernier meeting, des habitants ont à nouveau bloqué des routes pour protester contre l’incurie des pouvoirs publics. Lundi, au moment de voter à Chiawelo, le chef de l’Etat a été accueilli sous les huées de supporters de l’opposition. Le même jour, il fallait slalomer entre les parpaings et les restes de pneus brûlés pour se frayer un chemin à travers ce quartier de Soweto.
Abstention record
Pour autant, ce ne sont pas les explosions de colère qui ont marqué cette journée mais bien le vide des bureaux de vote. L’abstention s’annonce record, probablement entre 40 % et 45 % au niveau national d’après les projections d’un média local.
Chargé des élections au sein de l’ANC, le ministre des transports Fikile Mbalula a choisi d’y voir un message encourageant : « Ce que les électeurs disent, ce n’est pas qu’ils nous rejettent mais qu’ils retirent leur voix. La pire punition aurait été qu’ils votent pour l’opposition », a-t-il déclaré dans la soirée de mardi. Il évoque « un avertissement » pour l’ANC. L’analyste politique Richard Calland parle également d’un « carton jaune », « pas seulement pour l’ANC, mais pour tout le système démocratique ».
« La chance de l’ANC, c’est d’avoir le président Ramaphosa au moment où nous rencontrons les plus grandes difficultés », ajoute Fikile Mbalula. De fait, à la sortie des urnes à Soweto lundi, de nombreux votants affirmaient croire encore à la formation en citant le chef de l’Etat qui tente de réformer le pays et le parti depuis son arrivée au pouvoir, en 2018. « L’ANC peut encore changer à condition que le président soit strict et qu’il mette fin à la corruption », expliquait ainsi Rose Molantao, 65 ans.
Pourtant, la tendance qui se dessine à Soweto n’a rien de rassurant pour l’ANC. Les résultats du township où le parti raflait encore 88 % des voix en 2011 sont scrutés à la loupe. En 2016, le score de l’ANC est tombé à 68 %, le minimum pour maintenir le parti à un niveau proche de la majorité absolue à Johannesburg. Mardi soir, alors que le dépouillement était toujours en cours, l’ANC rassemblait moins de 60 % des voix dans de nombreux districts.
Et contrairement à ce qu’avance Fikile Mbalula, les électeurs n’ont pas seulement voté avec leurs pieds. Si les deux principaux partis d’opposition, l’Alliance démocratique, jusqu’ici le seul opposant de poids à l’ANC au niveau national, et les Combattants pour la liberté économique (EFF), le parti de gauche radicale emmené par le populiste Julius Malema, n’ont pas profité de la colère contre l’ANC, un nouveau venu sème la zizanie dans la province de Johannesburg. Son nom : Action SA. Créé en 2020, le parti a amassé entre 15 % et 20 % des voix dans de nombreux districts de Soweto, allant jusqu’à déloger l’ANC dans certains quartiers comme à Boomtown, où les habitants n’ont plus d’électricité depuis cinq mois. Ici, l’ANC est passé de 68 % en 2016 à 34,9 % des voix.
Coalitions
A la tête de cette nouvelle formation multiraciale, nationaliste et populiste, Herman Mashaba, un homme d’affaires qui a fait fortune dans les soins pour cheveux sous l’apartheid. En 2016, le self-made-man né dans un township devient maire de Johannesburg à la faveur d’une coalition. Son mandat est marqué par des expulsions musclées et une rhétorique violemment anti-immigrés dans une ville régulièrement secouée par des violences xénophobes. En 2019, Herman Mashaba claque la porte de son parti, l’Alliance démocratique, et de la mairie, avant de revenir dans la course à l’occasion des municipales. Son programme mêle la défense de la libre entreprise, la justice sociale, la lutte contre la corruption et l’immigration illégale.
Mardi soir, le dirigeant expliquait vouloir proposer un « marketing » qui s’adresse à tous les acteurs de la société sud-africaine. A Soweto, on explique avoir voté pour lui « parce qu’il veut se débarrasser des immigrés qui se droguent », mais aussi « parce qu’il a créé des emplois ». Celui que Richard Calland qualifie de « mini-Trump » est parvenu à séduire dans les townships, mais aussi dans les quartiers majoritairement blancs du nord de Johannesburg, forteresse de son ancien parti, où il rassemble 10 % à 20 % des voix.
Le résultat des municipales confirme que l’ère de la domination absolue de l’ANC au niveau local a cédé la place à celle des coalitions. Le mouvement, débuté en 2016, met la gouvernance locale au défi de la stabilité dans un pays où les partis ne sont pas habitués à travailler à plusieurs mains. A peine débarqué, Action SA s’impose comme une pièce majeure sur le nouvel échiquier qui se dessine à Johannesburg et dans la communauté de communes qui gère la capitale, Pretoria.
Mais Herman Mashaba voit plus loin alors que les résultats de ces élections suggèrent qu’« il y a désormais une opportunité pour l’opposition de bouter l’ANC hors du pouvoir, pas à pas », souligne Richard Calland. Si le millionnaire a choisi de concentrer ses forces naissantes sur une poignée de municipalités, il a déjà fait savoir qu’il a l’élection présidentielle de 2024 en ligne de mire.
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