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« Je ne crois pas en la justice » : Abou Fadima, premier djihadiste condamné au Burkina Faso

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La prison centrale de Ouagadougou, en 2018. ISSOUF SANOGO / AFP

Les yeux noirs d’Abou Fadima ne trahissent ni remords ni regrets. Son regard, impénétrable, fixe un point invisible, à quelques centimètres du sol. Assis sur une chaise au milieu de la cour en terre battue de la prison de haute sécurité, près de Ouagadougou, le détenu de 39 ans parle sans crainte. Lui qui pensait être « exécuté » dit n’avoir plus rien à perdre. En août, la justice burkinabée l’a condamné à vingt ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », « dégradation de biens » et « détention illégale d’armes à feu et de munitions ».

Sur le banc des accusés du tribunal de grande instance Ouaga II, il avait plaidé coupable. L’agression du directeur d’école, son domicile brûlé, les motos volées… « Oui », c’était lui, avait-il reconnu face aux jurés. Abou Fadima – son nom de guerre – est le premier djihadiste jugé au Burkina Faso depuis le début des attaques des groupes islamistes affiliés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), il y a six ans. Le Monde Afrique a pu s’entretenir en exclusivité avec le détenu, le 9 octobre, dans cette prison dont le lieu est tenu secret.

« J’étais sûr qu’ils allaient m’exécuter »

Sa vie « d’avant », dans son village près de Djibo (nord), semble celle d’un autre homme. Un passé lointain, presque effacé de sa mémoire. Comme d’autres cultivateurs de cette région aride, ce père de quatre enfants avait décidé de partir à la conquête de l’or pour compléter ses revenus et nourrir sa famille.

Tout a commencé là, sur les mines d’orpaillage artisanal, lorsque des hommes armés sont venus prêcher et parler d’Ibrahim Malam Dicko, le fondateur du groupe djihadiste burkinabé Ansaroul Islam (donné pour mort depuis 2017). Avant de prendre les armes, l’imam peul dirigeait une association islamique et, dans les années 2010, haranguait dans des mosquées et des radios locales. Ibrahim Malam Dicko dénonçait les injustices, prônait l’égalité entre les classes sociales et un islam rigoriste.

Abou Fadima n’est jamais allé à l’école. Les discours qu’il écoute sur son téléphone le séduisent, tout comme les critiques de l’imam contre « l’éducation des Blancs ». En 2018 – il ne se rappelle ni du jour ni du mois –, on lui propose de tout quitter pour rejoindre les rangs d’Ansaroul Islam et « travailler pour Dieu ». L’orpailleur est envoyé dans un camp d’entraînement « près du Mali ». « Il y avait trois bases comptant entre 20 et 40 combattants burkinabés », rapporte le détenu d’une voix mécanique. Là, pendant « un mois », au milieu des dunes de sable de la région du Sahel, il apprend à manier une arme, étudie le Coran et s’occupe de la cuisine.

Jusqu’à ce que le chef du camp lui confie sa première « mission » contre les koglweogo, un groupe d’autodéfense local, à Bafina, à une centaine de kilomètres. « L’ordre était de les menacer et d’engager le combat s’ils attaquaient », poursuit Abou Fadima, qui accuse cette milice, créée pour lutter contre le banditisme, d’« arrêter » et de « déshabiller » des habitants.

Le 2 mai 2018, il part avec un petit groupe, armé de sa kalachnikov et muni d’un drapeau noir portant le sceau du prophète Mahomet. Après avoir mis le feu au siège des koglweogo, vide ce jour-là, ils se dirigent vers l’école du village. « On voulait arrêter les enseignants parce qu’ils collaborent avec le gouvernement et l’armée », indique le condamné, crâne rasé et longue barbe, qui prône l’enseignement de la charia en classe.

Ce soir-là, le directeur est en train de préparer ses cours quand il aperçoit Abou Fadima et cinq « hommes enturbannés ». Terrifié, il sort en levant la main droite et récite une sourate. Un assaillant lui ordonne de se coucher au sol et lui bande les yeux. « J’ai entendu le chargement d’une arme, j’étais sûr qu’ils allaient m’exécuter », témoigne aujourd’hui le directeur de 48 ans, sous le couvert de l’anonymat. Les assaillants mettent le feu à sa maison et volent sa moto, avant de prendre la fuite. Ils sont rattrapés par des koglweogo puis remis aux forces de l’ordre.

« Idéologues » et « combattants »

Pour Emile Zerbo, le procureur du pôle antiterroriste, Abou Fadima était un « soldat qui exécutait les ordres des chefs » au sein d’Ansaroul Islam : « Il a été embrigadé dans le djihad idéologique, le groupe exerçait une ascendance sur lui, il était prêt à tuer. »

Depuis qu’il a ouvert sa première enquête après l’attaque de la gendarmerie de Samorogouan (sud-ouest), le 9 octobre 2015, le magistrat, l’un des rares à s’être spécialisés dans l’antiterrorisme au Burkina, tente de décrypter les racines du djihadisme local. Dans ses dossiers, les profils sont multiples. Des « idéologues », des « combattants » chargés de poser une mine sur une route avant le passage d’un convoi militaire contre 200 000 francs CFA (300 euros), d’autres enrôlés pour « se venger » des exactions de l’armée, des paysans « pris au piège » dans leur village, contraints d’alerter de l’arrivée de l’armée sous peine d’être exécutés.

Au Burkina Faso, où le djihadisme armé est un phénomène relativement récent, il a fallu du temps avant de reconnaître l’existence d’un « terrorisme endogène ». « Nous avons d’abord été surpris, puis nous avons pensé que l’ennemi venait de l’étranger, notamment du Mali voisin, avant de découvrir que 90 % des prisonniers, lors des opérations, étaient des Burkinabés », rapporte le colonel-major Théodore Naba Palé, ancien secrétaire général de la défense nationale.

Un constat difficile à accepter pour une partie de la population, qui pointe régulièrement la communauté peule, très présente dans la région du Sahel mais minoritaire à l’échelle du pays. Or dans ses dossiers, le procureur rapporte voir « toutes les ethnies », dont des Mossi, le groupe majoritaire au Burkina – comme Abou Fadima.

« Mon cœur est devenu dur »

Depuis que le détenu a été déféré à la prison de haute sécurité, il passe ses journées à « lire le Coran » dans sa petite cellule ou sous un auvent en tôle dans la cour. « Il n’y a rien d’autre à faire », assure-t-il. Voilà quatre mois qu’il n’a plus reçu de visite – depuis celle de sa mère, venue lui donner quelques nouvelles de sa femme et de ses enfants restés au village.

Dans l’établissement, les détenus s’occupent comme ils peuvent. Certains jardinent en blouse rouge, d’autres font du sport ou sont collés à leur poste de radio, « guettant l’annonce d’une nouvelle attaque », affirme une source avertie. Beaucoup sont murés dans le silence. Il n’existe aucun programme de déradicalisation dans cette prison, où sont également détenus plusieurs enfants accusés de faits de terrorisme, installés dans des préfabriqués à part.

A cause de la surpopulation carcérale, les terroristes présumés sont la plupart du temps mélangés aux autres prisonniers. « Quand vous avez des chefs djihadistes avec des bandits et des suspects, la prison devient un haut lieu de radicalisation », alerte le procureur. Dans un tel environnement, Abou Fadima « ne changera pas et restera un danger pour la société », regrette Emile Zerbo. « Mon cœur est devenu dur, je ne crois pas en la justice, on continuera de combattre jusqu’à la fin », clame d’ailleurs le détenu en boubou blanc, avant d’être reconduit à sa cellule par un gardien en treillis.

Depuis l’attaque, le directeur de l’école de Bafina a préféré fuir son village. Il vit dans la peur et sursaute au moindre bruit de moto. « Je fais des cauchemars dans lesquels on revient me tuer. J’ai tout perdu, comment lui pardonner ? », souffle l’enseignant, qui assure n’avoir jamais été pris en charge psychologiquement ni touché les dommages et intérêts de 2 millions de francs CFA qui lui sont dus. Abou Fadima étant dans l’incapacité de payer cette somme, il a déposé une réclamation au Trésor public. Au Burkina, il n’existe toujours pas de fonds d’indemnisation des victimes civiles d’actes de terrorisme.

La seule maigre consolation du professeur est d’avoir « enfin vu » le visage de son agresseur, à l’occasion du procès, et de le savoir en prison pour plusieurs années. « Mais après ? », interroge-t-il.

Sommaire de la série « Burkina : une justice antiterroriste à la peine »

Le sentiment d’injustice ne cesse de s’aggraver au Burkina Faso, où les attaques djihadistes, les représailles intercommunautaires et les exactions imputées aux forces de sécurité ont fait plus de 3 700 morts depuis 2015, selon le dernier décompte de l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled).

Face à l’engrenage des violences, les familles des victimes réclament le droit à la vérité et à une réparation. Mais sur le terrain, les enquêtes sont longues et fastidieuses. Entre les menaces sécuritaires et le manque de moyens, les magistrats du pôle spécialisé peinent à mener à bien leur mission. En attendant, environ 900 terroristes présumés s’entassent dans les cellules de la prison de haute sécurité du pays, proche de Ouagadougou.

Alors que le 9 août, pour la première fois en six ans, cinq djihadistes ont été condamnés dans le pays, Le Monde Afrique a enquêté sur les difficultés de la justice antiterroriste et le parcours des détenus et de leurs familles.

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