Pour Netflix, la situation est inédite : plusieurs dizaines de salariés ont appelé leurs collègues à un mouvement de grève, mercredi 20 octobre, pour demander l’arrêt de la diffusion du seul-en-scène de l’humoriste américain Dave Chappelle, intitulé The Closer et mis en ligne sur la plate-forme de streaming au début du mois.
Le groupe américain a dépensé 24,1 millions de dollars (20,7 millions d’euros) pour produire en exclusivité le one-man-show de soixante-douze minutes, dernier d’une série de six que Dave Chappelle a commencée en 2017. Plus de dix millions de visionnages avaient été comptabilisés par Netflix dix jours après la sortie du programme, approuvé à 95 % par le vote des internautes sur le site agrégateurs de critiques Rotten Tomatoes.
En interne, The Closer n’a jamais fait l’unanimité. Avant sa diffusion, a révélé l’agence de presse Bloomberg, plusieurs salariés ont fait remonter à la direction de Netflix leurs inquiétudes sur le contenu du spectacle : en cause, un discours jugé souvent transphobe et homophobe, à même de provoquer et d’accentuer des discriminations contre la communauté LGBTQ+.
Depuis vingt-cinq ans, Dave Chappelle construit sa carrière sur un humour sarcastique et souvent corrosif autour des relations entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis. « Si vous écoutez ce que je dis, mon problème a toujours été les Blancs », assume-t-il dans The Closer, sous les rires de son public, juste après s’être défendu d’avoir jamais eu « un problème avec les personnes transgenres ». L’intégralité du seul-en-scène tourne ainsi, alternant blagues brutales et rappels de sa sincère tolérance.
Aucun contenu « incitant à la violence ou à la haine » autorisé
Il nie, dans un sketch, avoir frappé, lors d’une fête, une femme lesbienne à cause de son homosexualité – « je ne savais même pas que c’était une femme ! » – avant de raconter en longueur, dans un autre, son amitié avec une personne transgenre, qui appréciait son humour et dont le suicide après de nombreuses discriminations l’a beaucoup touché. Le tout parsemé de clichés sur des « communautés » (noire, blanche, gays, transgenres…) souvent ridiculisées et forcément uniformes.
« Les gays sont une minorité jusqu’au moment où ils ont besoin de redevenir des Blancs », lance-t-il par ailleurs, en contant son altercation avec un homosexuel dans un bar du Texas. Là se retrouve un motif déjà utilisé par Dave Chappelle dans son précédent one-man-show, Sticks & Stones : la comparaison des revendications des minorités désignées – et de la reconnaissance de leur discrimination par la société. « Dans notre pays, vous pouvez tirer sur un Noir et le tuer, mais vous feriez mieux de ne pas froisser une personne gay. C’est précisément la disparité dont je souhaite discuter », y expose-t-il dès l’introduction.
Ces rares observations dans un spectacle « recouvert de bêtise », comme l’écrit l’autrice Roxane Gay dans une tribune publiée par le New York Times, n’ont pas diminué la colère des associations de défense des droits LGBTQ+. « Entretenir la transphobie, c’est entretenir la violence », a accusé David Johns, le directeur de la National Black Justice Coalition, en dénonçant la diffusion du seul-en-scène par Netflix. « Les règles de Netflix édictent qu’un contenu “incitant à la violence ou à la haine” n’est pas autorisé sur la plate-forme, mais nous savons tous que c’est exactement ce que font les contenus anti-LGBTQ », estime Glaad, une ONG spécialisée dans la surveillance du traitement médiatique de ces enjeux.
Netflix réaffirme son soutien à Chappelle
Au sein de Netflix, trois personnes demandant le retrait du spectacle ont été brièvement suspendues, notamment pour s’être introduites dans une réunion en visioconférence de dirigeants à laquelle elles ne devaient pas avoir accès. Une employée, à l’origine de l’appel au débrayage de mercredi, a été licenciée pour avoir communiqué à Bloomberg des indicateurs confidentiels du succès des one-man-shows de Chappelle sur Netflix – on y apprenait notamment que la « valeur » apportée par Sticks & Stones était évaluée à 19,4 millions de dollars par l’entreprise, soit moins que les 23,6 millions de dollars investis dans sa production.
Face à la fronde, la direction de Netflix a continué à soutenir, sans réserve, Dave Chappelle. « Bien que certains employés ne soient pas d’accord, nous sommes persuadés que ce qui est vu sur un écran ne se traduit pas directement par des conséquences dans le monde réel », écrit le directeur général des contenus de la plate-forme, Ted Sarandos, dans une note interne relayée par le New York Times. « Nous travaillons dur pour que des communautés peu visibles ne soient pas définies par une représentation unique [dans nos contenus] », assurait-il dans un autre message, quelques jours plus tôt, en citant d’autres productions de Netflix – Sex Education, Young Royals, Control Z et Disclosure.
Dans le magazine libéral américain The Atlantic, la journaliste Helen Lewis navigue entre les deux positions en comparant le spectacle de Dave Chappelle à un « test de Rorschach », devant lequel chaque spectateur donnerait une définition différente d’un objet difficile à qualifier. « Les blagues de Dave Chappelle sont-elles drôles ou blessantes ? Les deux. Les gens peuvent être les deux, estime Mme Lewis. Parfois, la tache d’encre ne prend pas un contour net. Elle reste, comme la vie, en désordre. »
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