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« Le massacre du 17 octobre 1961 est un mensonge d’Etat qui a commencé par la dénégation des victimes de la répression policière »

Par Frédéric Bobin et Antoine Flandrin

Publié aujourd’hui à 06h00

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EntretienL’historien Emmanuel Blanchard analyse, dans un entretien au « Monde », la dissimulation qui a entouré cette tuerie de manifestants algériens par un pouvoir exécutif prêt à tout pour que le Front de libération nationale (FLN) ne réussisse pas sa démonstration de force à Paris.

Le 17 octobre 1961, alors que la guerre d’Algérie touche à sa fin, la police parisienne procède à la plus grande répression contre une manifestation en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Ce jour-là, à l’appel du Front de libération nationale (FLN), plus de 20 000 Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu qui leur est imposé depuis le 5 octobre. Si l’indépendance paraît inéluctable – lors du référendum du 8 janvier 1961, plus des trois quarts des Français ont voté pour l’autodétermination de l’Algérie –, le pouvoir exécutif, qui s’obstine à qualifier d’« opération de police » le conflit en Algérie, ne peut tolérer que le FLN, considéré comme une organisation terroriste, réussisse le coup de force symbolique d’un défilé au cœur de Paris.

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La réponse orchestrée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, est terrible. Alors que quelque 12 000 « Français musulmans d’Algérie » sont raflés, des dizaines d’entre eux sont passés à tabac à coups de crosse et de gourdin, certains sont même tués par balle, avant d’être jetés dans la Seine. Les scènes se déroulent sous le regard passif – à quelques exceptions près – des Parisiens. Le bilan de cette débauche de violence policière n’a jamais pu être formellement établi, les historiens s’accordant à l’évaluer à « au moins 120 tués ». L’Etat français va s’employer à dissimuler ce massacre. Il faudra attendre plus de vingt ans pour que des historiens et des militants ne révèlent son ampleur. L’historien Emmanuel Blanchard, auteur d’une Histoire de l’immigration algérienne en France (La Découverte, 2018), explique comment la justice et la police ont mis en place un contre-récit pour faire écran à ce « crime d’Etat ».

Dans quelle mesure les archives policières et judiciaires permettent de démontrer que l’Etat a dissimulé le massacre du 17 octobre 1961 ?

Le mensonge d’Etat a commencé dès le 18 octobre par la dénégation des victimes de la répression policière et l’imputation de la violence aux manifestants algériens. Il s’est poursuivi à un triple niveau : médiatique (en temps de censure), judiciaire puis archivistique. Sur ce plan, la tentative de dissimulation a laissé des traces qui sont aujourd’hui accessibles : ainsi, sur le site des archives de Paris, on peut consulter les registres journaliers d’inhumation du cimetière de Thiais (Val-de-Marne). En ouvrant ces pages, on voit d’emblée qu’il s’est passé « quelque chose » à l’automne 1961 : il y a beaucoup plus d’Algériens inhumés et d’Algériens sans nom que d’ordinaire.

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