LETTRE DE ZURICH
Le musée zurichois Kunsthaus, ici le 6 août 2021, a relancé la polémique en exposant la collection d’art du fabricant d’armes Emil Bührle. WIKIPEDIA / CC BY-SA 3.0
Tout aurait pourtant dû bien se passer. L’architecte vedette britannique David Chipperfield (auteur, entre autres, de la rénovation du Neues Museum de Berlin) avait terminé dans les délais son travail, un nouveau bâtiment sobre et moderne, quadrilatère à colonnes en clin d’œil au néoclassicisme, matériaux nobles mais neutres, travertin et marbre gris de Carrare, appliques en laiton.
C’est dans ce décor luxueux que les autorités zurichoises ont pu proclamer, il y a quelques jours, l’ouverture de leur nouveau Kunsthaus agrandi, désormais « plus grande institution d’art de Suisse ».
Le qualificatif n’a rien d’anodin. Depuis des années, Zurich et Bâle, les deux plus grandes villes de Suisse, se livrent une bataille féroce à coups de centaines de millions de francs suisses d’investissements pour l’extension de leurs infrastructures. Pour s’emparer, surtout, du titre de capitale culturelle helvétique. Le Kunstmuseum (Bâle) et le Kunsthaus (Zurich) font à vrai dire partie depuis longtemps de la première division des musées d’art européen grâce à la richesse de leurs collections et à celle de leurs mécènes : banquiers et financiers à Zurich, fortunes de la pharmacie et de la chimie à Bâle n’ont jamais mégoté leur soutien.
Cinq après sa rivale rhénane, la cité zurichoise a donc enfin pu ouvrir ce nouvel espace de prestige pour y déployer ses chefs-d’œuvre. Aux cimaises, des tableaux de Mark Rothko et de Fernand Léger, en passant par Picasso et Cy Twombly : tous les grands maîtres de l’art moderne sont présents, de nombreuses pièces iconiques reconnaissables au premier regard. Ce ne sont pas elles qui posent problème, mais la mythique et sulfureuse collection Bührle.
Acquisitions douteuses
Exposée en 2019 au Musée Maillol à Paris, cette collection d’art français centrée sur les impressionnistes a été acquise par un fabricant d’armes aussi légendaire que contesté dans la Confédération helvétique. Emil Bührle (1890-1956) a fait affaire, et constitué une partie de son immense patrimoine, avec l’Allemagne nazie.
La collection elle-même a été acquise dans des conditions douteuses. Dans la Suisse d’après-guerre, ces choses ne se disaient pas. Depuis une trentaine d’années, elles se disent de plus en plus. Au point que, conscient du potentiel explosif du nouvel écrin offert à cette collection, la direction du Kunsthaus avait préparé le terrain, promettant un « véritable accompagnement didactique » pour mettre en lumière le contexte historique de la collection Bührle et de sa constitution.
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