Deux ans après le mouvement de contestation anti-pouvoir qui a secoué l’Irak, les Irakiens sont appelés à participer à des élections législatives, prévues le 10 octobre. Un scrutin dont le principal enjeu reste la participation, alors que de nombreux électeurs, surtout parmi les rangs des contestataires, vont boycotter les urnes.
À quelques jours des élections législatives anticipées du 10 octobre prochain, un grand nombre d’Irakiens désabusés entendent snober les bureaux de vote, tandis que les appels au boycott du scrutin se sont multipliés sur les réseaux sociaux ces dernières semaines.
Invoquant une fraude prévisible car les élections sont organisées par les partis qui tiennent l’Irak depuis la chute du régime autocratique de Saddam Hussein en 2003, et un climat d’intimidation et de violences visant des figures et des militants de l’opposition, une dizaine de mouvements issus du mouvement de contestation qui avait secoué le pays, à l’automne 2019, ont eux aussi décidé de boycotter ce rendez-vous électoral.
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Si bien que le scrutin, d’abord prévu pour 2022 avant d’être avancé une première fois au mois de juin 2021 puis finalement en octobre pour calmer les contestataires, risque fort de confirmer le partage politique actuel.
Les « forces d’octobre » n’ont pas su profiter de l’élan de 2019
« À quelques nuances près au niveau de la représentation des futurs blocs parlementaires, la plupart des indicateurs prévoient qu’il n’y aura pas de grande surprise lors de ces élections, dans le sens où l’on s’attend à ce que les forces politiques traditionnelles puissent globalement se maintenir électoralement », confirme Mustafa Fahs, journaliste et analyste politique, fin connaisseur des affaires irakiennes, interrogé par France 24. Notamment le courant de l’influent leader chiite Moqtada al-Sadr qui dispose du plus important bloc au Parlement sortant.
Selon lui, alors même que l’électeur irakien recherche et attend toujours une alternative politique, les « forces d’octobre » issues du mouvement de contestation n’ont pas su profiter de l’élan du soulèvement de 2019 pour pouvoir incarner une opposition nationale à même de faire face à la classe politique en place.
« À l’image de ce qu’il se passe avec la contestation au Liban qui ne parvient pas à parler d’une seule voix, les ‘forces d’octobre’ n’ont pas réussi, faute de consensus et d’expérience, à proposer un leadership unique et un discours rassembleur en vue de se présenter en rangs unis aux élections, explique-t-il. La classe politique ne peut que profiter de cette désunion qu’elle a contribué à entretenir en jouant, via les services du pouvoir et les partis, sur les divisions déjà existantes à l’intérieur de la contestation. »
Alors que la tentation du boycott du scrutin fait craindre une abstention record, Mustafa Fahs estime que celle-ci ne peut que favoriser, là aussi, les partis traditionnels qui auront les mains libres au Parlement pour négocier entre eux la formation du prochain gouvernement. « Toute démarche visant à réduire le taux de participation augmentera automatiquement les chances des partis classiques et religieux qui, de leur côté, parviennent toujours à mobiliser leurs électeurs. »
L’abstention record enregistrée lors des législatives de 2018 (officiellement 44,52 % des inscrits avaient voté), avait ainsi permis aux candidats du Hachd al-Chaabi, la puissante coalition de groupes armés chiites pro-iraniens, fréquemment accusés de nombreuses exactions contre les civils, d’accéder pour la première fois au Parlement.
L’opposition doit « chercher à obtenir la confiance des citoyens »
Malgré les sondages qui confirment que la participation au scrutin risque d’être faible, des voix s’élèvent dans le pays face à la tentation du boycott, très répandue au sein de la jeunesse irakienne.
Interrogé par France 24, Hussein al-Rmahi, secrétaire général de « Machrouh Kadimoun » (« Projet nous arrivons », un mouvement créé après le soulèvement de 2019, indique vouloir tenter pleinement le jeu des élections, qu’il juge plus constructif et efficace qu’un boycott pour porter la voix de ses compatriotes.
« Pour jouer pleinement son rôle, notamment au Parlement, l’opposition doit commencer par chercher à obtenir la confiance des citoyens dans les urnes, car la pratique politique a besoin d’une opposition effective, souligne-t-il. Le boycott ne peut que favoriser un statu quo dans lequel les forces au pouvoir resteront en place au sein d’un Parlement qui présenterait le même visage. »
De son côté, le juge Jalil Adnan Khalaf, président de la Haute Commission électorale indépendante chargée de superviser les législatives du 10 octobre, exhorte la population d’aller aux urnes. « Notre but est de garantir la réussite de ce scrutin, et cela passe notamment par un taux de participation élevé, confie-t-il à France 24. Nous avons fait notre part pour assurer la tenue de ces élections et rassurer les électeurs, donc la balle est désormais dans leur camp, c’est à eux de participer à cet exercice démocratique pour en garantir le succès. »
Si l’appel du juge ne risque pas de convaincre ceux qui entendent boycotter le scrutin, une autre voix, incommensurablement plus influente peut faire fléchir une partie de l’opinion irakienne. Il s’agit de celle de la plus haute autorité chiite du pays, le très respecté ayatollah Ali Sistani, qui est sorti de sa réserve, le 29 septembre, pour appeler les Irakiens « à faire preuve de responsabilité » et à se rendre aux urnes.
Selon lui, il faut « profiter de cette opportunité pour opérer un vrai changement dans l’administration de l’État et écarter les mains corrompues et incompétentes des principaux rouages ».
Reste à savoir si par sa position de soutien moral des revendications de la contestation, l’ayatollah parviendra à convaincre des Irakiens ulcérés par une classe politique jugée corrompue et incompétente, mais aussi par la tutelle de l’Iran voisin et l’emprise des milices sur leur pays, à tenter une nouvelle fois de croire qu’un bulletin de vote peut changer la donne.
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