Au côté de la Philippine Maria Ressa, c’est un monument du journalisme russe que le comité Nobel a choisi d’honorer, vendredi 8 octobre, en remettant à Dmitri Mouratov un prix Nobel de la paix aussi inattendu que symbolique.
A travers lui, c’est un journal, la Novaïa Gazeta, connu pour la qualité de son travail autant que pour ses martyrs, qui est honoré. Dans sa première réaction, M. Mouratov, son infatigable rédacteur en chef, a immédiatement rendu hommage à ses journalistes, et en premier lieu à ceux tués dans l’exercice de leur travail, dont la plus célèbre, Anna Politkovskaïa, assassinée il y a quinze ans presque jour pour jour, le 7 octobre 2006.
M. Mouratov a aussi dit accepter le prix « au nom des journalistes russes qui subissent actuellement des répressions ». « Nous allons aider ceux qu’on appelle “agents de l’étranger”, ceux qu’on opprime et ceux qu’on pousse à l’exil », a-il promis. Ces mots font écho à ceux du comité Nobel, qui a fait de Maria Ressa et Dmitri Mouratov « les représentants de tous les journalistes qui défendent la liberté d’expression ».
Le pouvoir russe, avec lequel M. Mouratov et la Novaïa Gazeta n’ont cessé d’entretenir des relations conflictuelles, n’a pu faire autrement que de féliciter le lauréat : Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a salué son « talent » et son « courage ». Les choses sont toutefois rendues plus simples pour le Kremlin par le fait que la Novaïa Gazeta est quasiment le dernier média indépendant russe à ne pas avoir reçu le label – infamant et menaçant – d’« agent de l’étranger ».
Reportages sur des réalités russes ignorées
Dmitri Mouratov, 59 ans, est d’abord un journaliste et un rédacteur en chef de renom. Ancien « para », il débute sa carrière dans les dernières années de l’URSS, dans un journal de sa ville natale, Samara. Passé par la Komsomolskaïa Pravda, il participe en 1993, avec une cinquantaine d’autres journalistes, à la création de la Novaïa Gazeta, trihebdomadaire qui s’impose rapidement comme une référence.
Dès 1995, Mouratov en devient le rédacteur en chef. Sa voix porte autant en interne qu’à l’extérieur du journal. Dans un paysage médiatique où la marge de manœuvre ne va cesser de se réduire, sous les coups de boutoir conjugués de l’Etat et des oligarques, la Novaïa se singularise. Aujourd’hui, 76 % des actions appartiennent à la rédaction, 14 % à l’homme d’affaires Alexandre Lebedev, entré au capital en 2006, et 10 % à l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev.
Le journal est réputé pour ses reportages sur des réalités russes ignorées par les autres médias, comme récemment encore la situation des hôpitaux psychiatriques, autant que pour ses investigations. Son histoire est jalonnée par un certain nombre d’enquêtes retentissantes : sur les attentats de 1999, attribués à des indépendantistes tchétchènes et qui ont permis l’ascension de Vladimir Poutine ; sur la gestion par les forces de l’ordre des prises d’otage du théâtre de Moscou – pendant une représentation de la comédie musicale Nord-Ost – en 2002 et de Beslan en 2004 ; sur la corruption des élites ; sur les mercenaires de Wagner et leurs exactions, en Syrie notamment ; sur les exécutions extrajudiciaires en Tchétchénie et la chasse aux homosexuels qui y est menée, etc.
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