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Missiles : pourquoi la Russie sort ses griffes hypersoniques

Publié le : 04/10/2021 – 18:23

La Russie a annoncé, lundi, avoir procédé avec succès au premier lancement d’un missile hypersonique depuis un sous-marin nucléaire. Ces missiles Zircon ont pris une importance grandissante aux yeux du président russe Vladimir Poutine et de ses généraux.

Il fait nuit noire sur la vidéo, quand soudain, après une dizaine de secondes, une vive lumière apparaît et s’élève dans le ciel. Impossible de dire de quoi il s’agit, mais Moscou a affirmé, lundi 4 octobre, que c’est la preuve du premier lancement réussi d’un missile hypersonique depuis un sous-marin.

« Ce test d’un missile Zircon, lancé depuis un sous-marin nucléaire, a été un succès », a précisé le ministère russe de la Défense. Il a été tiré depuis un sous-marin à propulsion nucléaire Severodvinsk, déployé en mer de Barents, et a « atteint sa cible », conclut le communiqué du ministère.

Au-delà de 6 000 km/h

« C’est une démonstration de force qui s’inscrit dans la logique assumée par la Russie de relance de la course aux armes stratégiques », affirme Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS), contacté par France 24. 

Le Zircon n’est, en effet, pas n’importe quel missile. Il s’agit d’un missile hypersonique, c’est-à-dire capable de dépasser la vitesse de Mach 5 (6 174 km/h) « pour toucher n’importe quelle cible à 1 000 km de distance », avait assuré Vladimir Poutine, le président russe, lors d’un discours de décembre 2018 durant lequel il avait confirmé l’existence de ces armes de nouvelle génération.

Les armes hypersoniques ont aussi l’avantage de pouvoir être téléguidées, contrairement aux missiles balistiques traditionnels, qui ne peuvent pas changer de trajectoire en plein vol. De ce fait, ce type d’armement est censé être bien plus efficace contre des cibles mouvantes, comme les bateaux de guerre. « Les Zircon sont, prioritairement, des missiles antinavires qui peuvent être utilisés, accessoirement, pour viser des cibles terrestres », résume Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen pour les relations internationales, contacté par France 24.

La Russie a commencé à travailler sur les Zircon au début des années 2010 et a effectué plusieurs tests ces cinq dernières années.

Mais le premier lancement d’un missile Zircon depuis un sous-marin, ce lundi, constitue une étape importante d’un point de vue opérationnel. Ce type d’arme est généralement déployé sur les porteurs les plus furtifs possibles, « et en Russie ce sont les sous-marins car le pays n’a pas le niveau technologique suffisant pour des bombardiers furtifs à long rayon d’action, capables d’échapper aux radars américains », explique Alexandre Vautravers.

Attention aux fanfaronnades russes

Dans le scénario noir pour Moscou d’un affrontement armé contre les forces de l’Otan, « les sous-marins sont les seuls éléments de la marine militaire russe qui auraient une chance de survivre [sur l’Atlantique] face à la flotte de l’Otan ou des États-Unis. Et de ce fait, il est important de pouvoir démontrer que de tels vaisseaux peuvent transporter ces missiles », ajoute Gustav Gressel. Il rappelle que Moscou a développé une « véritable paranoïa à l’égard des États-Unis » qui pousse le pouvoir à toujours envisager l’hypothèse de l’affrontement armé. 

Pour Moscou, c’est aussi une manière de se mettre militairement en avant sur la scène internationale. En effet, les investissements dans ce type de missile tranchent avec l’approche des autres puissances mondiales. « L’Europe et les États-Unis ont sans arrêt repoussé la modernisation des armements stratégiques ces dernières années, et le niveau technologique d’une partie de leur équipement remonte aux années 1990 », souligne Alexandre Vautravers.

Dans ce contexte, multiplier les lancements de missiles hypersoniques – considérés par une partie des experts militaires comme les « armes du futurs«  – peut donner l’impression que Moscou a une longueur d’avance. « Il est vrai que la Russie est la seule puissance à avoir démontré qu’elle pouvait déployer de manière opérationnelle ces armes. Les États-Unis ont également fait des essais, mais depuis des lanceurs spécialement conçus pour ce type de tir, et on n’a absolument aucune donnée fiable sur l’état d’avancement du programme chinois en la matière », détaille Gustav Gressel. 

Mais, pour lui, encore faut-il ne pas prendre toutes les fanfaronnades militaires russes pour argent comptant. « Pour maîtriser les missiles hypersoniques, il faut surmonter deux obstacles principaux : réussir à les faire voler sans qu’ils ne se désintègrent, et prouver qu’on arrive à les guider à distance pour toucher des cibles mêmes mouvantes. Les Russes ont démontré que leurs missiles volaient, mais on n’a aucune preuve que Moscou est capable d’ajuster leur trajectoire en plein vol », souligne l’expert du Conseil européen pour les relations internationales.

Une course à l’armement relancée ?

Les vidéos publiées par le ministère russe de la Défense après chaque tir « réussi » se concentrent sur les lancements « et ne montrent que des images plutôt floues », ajoute Gustav Gressel. « J’aimerais savoir, par exemple, quelle est la taille de la cible que les militaires russes assurent avoir touchée, et s’il s’agissait d’une cible fixe ou mouvante », ajoute-t-il.

Les États-Unis n’ont donc pas encore de raison de s’inquiéter outre mesure. Mais si la Russie venait à démontrer sa maîtrise à 100 % de cette technologie, cela pourrait changer la donne. À l’heure actuelle, les efforts américains pour mettre en place un bouclier antimissiles n’ont pas permis d’avoir un système de défense « capable d’intercepter tous les missiles déjà existants ; un tel système serait encore moins efficace face à des missiles hypersoniques, plus rapides et plus manœuvrants », souligne Alexandre Vautravers.

Pour lui, Washington aurait alors un choix à faire : continuer à se concentrer sur son système de défense antimissile ou ériger les missiles hypersoniques en nouvelle priorité militaire. Une option qui, selon Alexandre Vautravers, « relancerait la course aux armements au niveau mondial ».

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