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En Tunisie, le risque de l’autocratie

Par Frédéric Bobin

Publié hier à 17h45, mis à jour hier à 17h56

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EnquêteLe chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, vient de bouleverser l’équilibre constitutionnel en concentrant entre ses mains l’essentiel des pouvoirs au nom d’une « révolution du peuple » qu’il veut relancer. La Tunisie, guettée par le double risque de l’autocratie et de la faillite financière, plonge dans l’inconnu.

Il est un mot qui revient souvent à propos de Kaïs Saïed : énigme. L’homme qui s’est propulsé en 2019 à la magistrature suprême de la Tunisie, et embarque le pays depuis son « coup de force » de l’été sur les périlleux sentiers du pouvoir personnel, n’a pas seulement cassé les codes de l’action politique. Il échappe désormais aux typologies, aux grilles convenues. Ce président s’arrogeant, le 25 juillet, de son palais de Carthage, les pleins pouvoirs pour sauver la nation d’un « péril imminent », et relancer ainsi une révolution trahie à ses yeux depuis dix ans, déroute, déconcerte. Mercredi 22 septembre, il a signé un décret présidentiel concentrant l’essentiel des pouvoirs constitutionnels entre les mains du chef de l’Etat en attendant une « réforme politique » qu’il soumettra à référendum. Il est un objet politique étrange, inédit, atypique, rangé anxieusement dans la case « énigme », faute de concept approprié.

S’il importe tant d’éclairer ce « phénomène Saïed », c’est que l’enjeu n’est autre que l’avenir de la transition démocratique tunisienne, modèle en danger après avoir été célébré comme une réussite dans le monde arabo-musulman. Les libéraux tunisiens ne cachent plus leur inquiétude devant une dérive autocratique – au nom du « peuple » – chaque jour plus prononcée. « Kaïs Saïed est en train de réinstaller la dictature », déplore le juriste Yadh Ben Achour, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis.

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« Enigmatique » serait donc cet ancien assistant d’université sous la présidence Ben Ali (1987-2011), vierge de toute audace contestataire, s’éveillant brutalement à la révolution au lendemain de la chute de l’autocrate, le 14 janvier 2011. « Enigmatique » serait cet échalas, austère et emprunté, adepte d’un arabe littéraire châtié (préféré à la langue vernaculaire du derja tunisien), envoûtant par son phrasé monocorde des amphithéâtres d’étudiants puis des foules de partisans. « Enigmatique » serait ce candidat chiche et solitaire à la présidentielle de 2019, triomphant des machines électorales fortunées de ses rivaux. « Enigmatique » serait ce spécialiste du droit constitutionnel envoyant, le 25 juillet, lors de la proclamation de l’état d’exception, un char de l’armée fermer, à Tunis, le Parlement dont il décrète les travaux « suspendus ».

Apparents paradoxes

« Enigmatique » serait ce démocrate détestant les partis politiques. « Enigmatique » serait ce déboulonneur d’Ennahda, vitrine de l’islam politique en Tunisie et qui perdit sa position de pouvoir avec la suspension du Parlement, se référant sans cesse à Dieu et au Coran. « Enigmatique » serait cet héritier du « printemps tunisien » flirtant avec l’Egypte et l’Arabie saoudite, ces parrains de la contre-révolution arabe.

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