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« Le nord d’Eubée a été effacé de la carte » : sur l’île grecque sinistrée par les incendies, la colère et le désespoir

Par Marina Rafenberg

Publié aujourd’hui à 06h00

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ReportagePlus de 50 000 hectares ont été détruits par le feu sur l’île située à quelque 200 kilomètres à l’est d’Athènes. Chez les habitants, la peur des premiers jours a laissé place aux doutes quant à leur avenir.

Sur les hauteurs de Kourkouli, village de quelques centaines d’habitants dans le nord de l’île d’Eubée, la forêt verdoyante a disparu sous une couche de cendres. Les pins élancés ont été décimés. La terre a pris la couleur du charbon. L’odeur de brûlé, une semaine après la fin des feux, est encore irritante. « Partir ou rester, telle est désormais la question que nous nous posons tous », explique Giorgos Anagnostou, un résinier, qui depuis sa terrasse ne voit plus qu’un paysage de désolation. Dans cette commune, préservée grâce au courage de ses habitants qui, seuls, ont lutté contre les flammes pendant plusieurs jours, près de 150 familles vivent de la résine du pin qui sert à faire des colles industrielles, des cosmétiques, de la peinture, ou le vin traditionnel grec (retsina, le « résiné »). L’exploitation de la résine apporte à la région du nord d’Eubée environ 5,5 millions d’euros chaque année, emploie près de 1 500 personnes et représente l’activité principale.

Sur l’île d’Eubée, le 16 août 2021. Giorgos Anagnostouu et sa famille ont perdu 55 chèvres dans l’incendie. Ils avaient l’habitude de gagner leur vie uniquement en travaillant dans l’élevage. Maintenant, leur principal défi est de trouver un espace vert où les animaux sauvés pourront être nourris. ENRI CANAJ/MAGNUM PHOTOS POUR « LE MONDE »

« J’ai grandi entouré par la nature. Toute ma vie était dans les bois. Le nord d’Eubée n’existe plus, il a été effacé de la carte pour une quarantaine d’années et c’est notre vie, mais aussi celle de nos enfants qui est partie en fumée ! », se désole le quadragénaire qui envisage de partir sur une autre île, comme Skopelos ou Alonissos, où il pourra continuer à exercer son métier. En moyenne, il faudrait entre trente et cinquante ans pour que les pins repoussent et soient de nouveau exploitables. « J’ai pris l’habitude de me lever à 5 heures du matin et de travailler jusqu’à 17 heures. En huit ans de mariage, je n’ai jamais pris le temps, comme aujourd’hui, de prendre un café avec ma femme en plein après-midi. Je ne veux pas être au chômage, mais quitter mon village, mes vieux parents, c’est aussi un déchirement », poursuit Giorgos Anagnostou, la gorge nouée.

Giorgos Anagnostis travaillait dans les pinèdes et récoltait la résine. « J’ai travaillé dans les pins depuis toujours. Je me levais tous les matins à 5 heures pour aller travailler. Après toutes ces années, c’est la première fois que je prends le café dans l’après-midi avec ma femme, je ne sais pas quoi faire, ni où aller », dit-il. ENRI CANAJ/MAGNUM PHOTOS POUR « LE MONDE » Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Grèce, la faiblesse des moyens de lutte contre les incendies est critiquée

Son père, Aggelos Anagnostou, 63 ans, avait 250 chèvres. dont 55 ont péri dans les flammes. « Voici les survivantes, note l’éleveur en désignant son troupeau hébergé temporairement sur le champ d’un voisin. Nous avons fait ce que nous avons pu pour les sauver, mais les flammes sont arrivées trop vite… » Maria, sa femme, fabrique les yaourts et le fromage de chèvre. « Nous sommes trop vieux pour immigrer. Mais les jeunes vont partir, et nous avons peur d’être de plus en plus isolés », confie la sexagénaire.

Les services publics ont déjà déserté les lieux. Les banques n’ont plus d’officines, même dans la ville voisine de Limni. Pour abattre les bêtes, il faut faire une heure et demie de route jusqu’à Chalkida. « Après l’incendie, les animaux ne pourront plus paître dans la nature, nous allons devoir acheter de la nourriture, cela va avoir un coût supplémentaire pour nous d’environ 100 euros par jour pour notre troupeau, alors même que le kilo de viande ne se vend que 3 euros actuellement… Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir », murmure, inquiet, Aggelos Anagnostou. Avec sa petite retraite de 400 euros, il n’a pas les moyens de faire des dépenses supplémentaires. Sans bois pour se chauffer cet hiver, il ne pourra pas non plus acheter du fioul…

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