« On veut faire renaître le vin »: pour la région viticole de l’Ahr, des bouteilles couvertes de boue, sorties des caves inondées, représentent l’espoir d’un nouveau départ après les crues mortelles qui ont frappé l’Allemagne il y a trois semaines.
« Je me suis dit qu’on ne pouvait pas juste tout jeter », se rappelle Linda Kleber, à l’origine de l’initiative solidaire « Flutwein » (« Vin de crue »), née alors qu’elle sortait, une par une, les bouteilles maculées de son restaurant détruit.
Les milliers de flacons sauvés dans les exploitations de la région sont désormais proposés à la vente et livrés – en souvenir de la catastrophe – tels qu’ils ont été trouvés, figés dans les sédiments terreux. Des pièces uniques.
L’argent récolté, plus de 2,2 millions d’euros à ce jour, « donne énormément d’espoir à tous les vignerons mais aussi au secteur de la restauration », confie Peter Kriechel, viticulteur et président de l’association professionnelle locale, tout de suite emballé par l’idée de Mme Kleber.
Dans son propre entrepôt, quelque 200.000 bouteilles ont pris l’eau lors de la nuit du 14 au 15 juillet.
« Je pense qu’on est face à un long marathon » et « des actions comme Flutwein nous aident à démarrer », estime le producteur de 38 ans.
– ‘Un tsunami’ –
Peter Kriechel, viticulteur et président de l’association professionnelle locale, âgé de 38 ans, ainsi que les vignerons Linda (49 ans) et Jorg Kleber (52 ans), à l’origine de l’initiative solidaire « Flutwein » (« Vin de crue »), à Bad Neuenahr-Ahrweiler (ouest de l’Allemagne), le 30 juillet 2021 (AFP – Bernd Lauter)
Dans cette vallée réputée pour le pinot noir qui pousse sur les pentes escarpées, l’économie dépend en grande partie du vin et du tourisme qu’il génère.
« Sans le vin, la vallée de l’Ahr n’existe pas, et encore moins sa gastronomie », confirme Jörg Kleber, époux de Linda.
Au total, la catastrophe naturelle, qui a fait 225 morts en Europe, dont 187 en Allemagne, a détruit entre 5% et 10% des vignes de l’Ahr. Mais les dégâts sont bien plus lourds sur les machines, les caves, les exploitations endommagées voire détruites.
Paul Schuhmacher fait partie de ceux qui ont beaucoup perdu.
« Ce n’était pas une crue normale, mais un tsunami », raconte ce producteur de 63 ans.
Juste avant que l’eau ne s’engouffre chez lui, M. Schuhmacher est descendu s’assurer que les bouchons scellant les tonneaux étaient tous bien en place.
« J’ai pris un gros marteau et j’ai couru à la cave », se rappelle-t-il.
Puis, lui et sa femme se sont réfugiés au premier étage, « mais l’eau y est très rapidement montée à plus d’un mètre », raconte, encore ému, le vigneron. Ils ont finalement passé une partie de la nuit sur leur toit.
Un demi-hectare sur cinq de son domaine est détruit. Le rez-de-chaussée de sa maison, où se trouvait aussi le restaurant, est encore couvert de boue.
Pourtant ce vétéran de la profession compte bien récolter et produire une cuvée cette année car « la viticulture doit survivre, on est le moteur de cette région ».
La fabrication sur place, à Ahrweiler, reste très incertaine. Mais les vignerons des régions voisines ont promis de les aider à récolter et à vinifier.
– ‘Beaucoup partiront’ –
Des bouteilles de vin recouvertes de boue, dans le cadre de l’initiative solidaire « Flutwein » (« Vin de crue »), à Bad Neuenahr-Ahrweiler (ouest de l’Allemagne), le 30 juillet 2021 (AFP – Bernd Lauter)
Face à la plus grande catastrophe naturelle des dernières décennies en Allemagne, le gouvernement d’Angela Merkel a d’ores et déjà débloqué une première aide d’urgence de plusieurs centaines de millions d’euros pour parer au plus pressé.
Ces aides seront complétées par un programme de reconstruction qui s’élèvera à plusieurs milliards d’euros.
Toutefois, la vallée de l’Ahr « ne sera plus comme avant »: « beaucoup partiront et ne reconstruiront pas leur maisons », prédit M. Schuhmacher.
Une option que le couple Kleber n’envisage pas un instant, même si leur ancien restaurant, au centre d’Ahrweiler, n’est plus que ruines.
Cuisine, bar, salle à manger, jardin… après le déblayage, plus rien ne reste du « Kleber’s », hormis les murs, sur lesquels une trace brune et boueuse rappelle la hauteur inimaginable atteinte par l’eau.
« C’était en train de reprendre » après les mois d’arrêt forcé en raison de la pandémie de coronavirus, se désole Jörg Kleber, cuisinier de profession. Mais le Covid-19 « n’était rien » comparé aux forces qui se sont déchaînées en moins d’une heure, la nuit du drame.
Il y aura un nouveau « Kleber’s » ailleurs, promet le chef. « Nos amis et notre vie sont ici » et peut-être qu’avec la catastrophe « on est même devenus encore plus enracinés ».
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