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Des ambulances arrivent à l’hôpital El-Kettar, à Alger, en février 2020. RYAD KRAMDI / AFP
La scène se passe à l’hôpital d’Ain Taya, dans la banlieue est d’Alger. Elle ne dure qu’une minute : des hommes, certains en blouses médicales, se ruent sur un camion et emportent en courant des bonbonnes d’oxygène. Derrière l’apparence de chaos, il y a en réalité l’urgence : des malades en insuffisance respiratoire attendent le salut.
La vidéo, très partagée sur les réseaux sociaux ces derniers jours, illustre bien la situation du secteur sanitaire algérien, submergé par une nouvelle vague meurtrière liée au variant Delta qui n’a pas été anticipée par les autorités. L’Institut Pasteur d’Algérie a indiqué que ce variant, bien plus contagieux, représentait, au 15 juillet, 71 % des cas de Covid-19 en circulation dans le pays et qu’il pourrait dépasser les 90 % dans les semaines à venir.
Les hôpitaux connaissent un afflux considérable de malades et font face à une pénurie d’oxygène qui a été fatale à de nombreux patients hospitalisés. Une situation paradoxale, l’Algérie ayant presque quadruplé sa production par rapport à 2020 pour la porter, selon le ministre de l’industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed, à 430 000 litres d’oxygène liquide par jour (soit près de 400 millions de litres d’oxygène gazeux).
Cette augmentation qui « permet de prendre en charge de dizaines de milliers malades », a-t-il précisé, n’a pas été accompagnée d’une bonne préparation logistique dans un pays grand comme trois fois et demi la France. « Il ne s’agit pas simplement de produire cet oxygène, mais aussi de le transporter », a admis le ministre.
Une collecte de fonds menée par la diaspora
Les autorités ont réquisitionné les entreprises exerçant dans le transport et la production de l’oxygène liquide. Dans le même temps, le ministère de l’industrie pharmaceutique a décidé, « à titre d’exception », de permettre aux particuliers d’importer des concentrateurs d’oxygène et autres dispositifs médicaux, sans la licence préalable d’importation traditionnellement exigée par les douanes algériennes.
Mais les Algériens demeurent circonspects au sujet de l’action des pouvoirs publics. Sans attendre davantage, les initiatives citoyennes se sont donc multipliées pour doter en urgence les hôpitaux dans plusieurs wilayas (préfectures).
Une grande collecte de fonds est menée par la diaspora – près de 450 000 euros ont été réunis au 28 juillet – pour l’achat de matériel d’oxygénothérapie et de concentrateurs. Lancée par Merouane Messekher, interne en pneumologie à Toulouse et membre du collectif Algerian Medical Network, l’opération a été largement relayée par des influenceurs sur les réseaux sociaux.
Des chiffres à « multiplier par trente »
La solidarité qui s’organise en dit long sur l’urgence de la situation. Sur la brèche depuis le début de la pandémie et désormais épuisé, le personnel médical met en garde contre « l’insouciance » voire « l’inconscience » de la population et des autorités vis-à-vis des risques liés au Covid-19. De fait, après un confinement strict au printemps 2020, le pays s’est laissé aller à un relâchement général.
Le port du masque, souvent moqué, est devenu l’exception et les règles de distanciation sont peu appliquées. La grande fête de l’Aïd el-Adha et la publication des résultats du baccalauréat ont donné lieu à des regroupements festifs sans protection. La vaccination, elle, a pris du retard (moins de 6% de la population a reçu sa première dose, selon le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies).
Pour certains professionnels de la santé, les chiffres officiels des contaminations et des décès, qui ne tiennent compte que de ceux ayant fait l’objet d’une analyse PCR, ont créé un faux sentiment de sécurité. Au cours du mois de juin, les bilans quotidiens tournaient autour de 370 contaminations et 10 morts par jour. Ils ont grimpé ces derniers jours à plus de 1 500 contaminations et 25 décès. Un record selon les données officielles, mais qui reste bien en deçà de la réalité, à en croire les spécialistes.
Le professeur Réda Djidjik, chef de service d’immunologie au CHU de Béni Messous, à Alger, a fait sensation en déclarant que les chiffres du ministère de la santé devaient être « multipliés par trente pour avoir une idée de la situation actuelle ». Selon lui, il y a actuellement entre 25 000 et 30 000 cas confirmés de Covid-19 par jour en Algérie, ce qui expliquerait l’état de saturation des hôpitaux.
Face à cette vague meurtrière, les autorités ont décidé – tardivement et en « pompier » dénoncent les critiques – d’étendre le couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin dans 35 des 58 wilayas du pays où des espaces de loisirs et des établissements publics seront fermés. Les mosquées resteront portes closes durant les heures de couvre-feu. Des mesures saluées mais jugées encore insuffisantes face à la violence de cette nouvelle vague. D’autant que le gouvernement a également annoncé lundi la levée de la quarantaine obligatoire de cinq jours pour les voyageurs arrivant dans le pays.
« Le pic est très aigu », estime le professeur Djidjik, qui préconise un « confinement strict » pour casser la dynamique et désengorger les hôpitaux. « Aucun pays au monde, aucun système de santé ne peut faire face à la vague que nous subissons actuellement. Il faut couper la chaîne de transmission », alerte-t-il.
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