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Loi sur la « congolité » en RDC : « La loyauté envers son pays ne trouve pas sa source dans la généalogie d’un individu »

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Tribune. Une proposition de loi qui vise le verrouillage des fonctions dites de souveraineté, notamment la magistrature suprême, la présidence du Sénat et celle de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC), pour les réserver aux Congolais « de père et de mère », est au cœur des débats dans la classe politique congolaise.

Si les initiateurs et partisans de cette proposition de loi peuvent clamer, la main sur le cœur, leur patriotisme ou leur nationalisme incontestable étant donné leur identité d’origine, on peut s’interroger sur le bien-fondé de leur démarche.

Faut-il guérir un malade en lui inoculant un autre mal qui pourrait l’emporter ? Etre Congolais de père et de mère est-il une garantie suffisante de dévouement à l’intérêt général ? En réalité, la loyauté envers son pays ne trouve pas sa source dans la généalogie d’un individu.

Une leçon venant de l’anthropogenèse (étude de l’apparition et du développement de l’espèce humaine) pourrait nous éclairer : le fait d’être un être humanisé ne se transmet pas naturellement des parents aux enfants comme il en va chez les plantes ou les primates, d’où l’importance des processus de socialisation, de sexualisation et de personnalisation par lesquels se transmettent l’humanité, l’éducation et la culture. Comment donc la loyauté comme vertu politique pourrait-elle se transmettre naturellement des parents aux enfants ? N’est-elle pas plutôt une valeur consciente, volontariste, qui n’est pas déjà donnée, c’est-à-dire, inatteignable spontanément ?

Enfin, qu’est-ce que la souveraineté aujourd’hui, quand on songe que nous l’avons bradée et continuons de le faire, pour reprendre le philosophe camerounais Eboussi Boulaga ? Hier, aux mains exclusives de l’ancienne puissance coloniale belge, la réalité du pouvoir est aujourd’hui dans celles des bailleurs de fonds, des investisseurs, des « ajusteurs structurels », des réseaux de trafiquants d’armes, des corrupteurs et des « détourneurs » des deniers publics.

« Diabolisation de l’adversaire »

L’évaluation de la situation politique et de la capacité d’action, la détermination du moment opportun pour lancer une réforme, exigent que l’on tienne compte des attentes dominantes dans la société. Or, aujourd’hui, le défi pour le Congo comme Etat-nation est ailleurs. Même ceux qui ont déjà annoncé leur candidature à l’élection présidentielle à venir dans deux ans et demi, faisant ainsi montre d’un génie exceptionnel d’anticipation parmi les politiques congolais, en sont sans doute conscients. Le recours aux vieilles techniques de personnalisation et de diabolisation de l’adversaire, de l’amalgame et de la division est une sinistre diversion.

Les attentes vitales des Congolais sont la sécurité dans l’est, où de paisibles citoyens sont égorgés comme du gibier, la fin de la précarité généralisée, les soins médicaux, la justice dans la distribution du produit social. Ne sont-elles pas les obligations inaliénables d’un Etat qui se préoccupe de ses citoyens, celles par lesquelles il assure au quotidien son autorité, se fait aimer et respecter, même par d’autres Etats ? Les manquements à ces droits consacrés par la Déclaration universelle des droits humains poussent ceux qui sont lésés au désespoir et, par la suite, à la destruction, voire à la déloyauté.

Les sages sont ceux qui tirent les leçons du passé, du leur comme de celui des autres. Il y a déjà eu « l’ivoirité », ce concept forgé en Côte d’Ivoire préconisant de réserver aux « Ivoiriens de souche » la préférence pour l’emploi ou les élections. Ses fruits sont connus. Ils ne sont pas enviables.

Les Etats ont à leur disposition des outils pour cultiver la loyauté, le sens de l’appartenance, et donner tout le nécessaire pour participer sincèrement à la gestion de la cité, de ce qu’on a en commun. Un de ces outils est à coup sûr l’éducation. Le devoir suprême d’une communauté qui s’organise pour durer dans l’histoire et transmettre l’humanité, les raisons de vivre, le sens de l’existence, c’est d’éduquer. L’éducation, disait Eboussi, est le lieu où une communauté humaine prend conscience d’elle-même. C’est là qu’elle se définit, déclare ses valeurs (donc ses interdits), sa conception d’elle-même, de l’homme et de son accomplissement.

Cela n’a-t-il pas à voir avec la souveraineté ? N’est-ce pas là qu’il faut agir en nous rappelant que « c’est la cité qui fait l’homme » ? Sans cela, l’Etat congolais risque de jouer le jeu des particularismes tribaux. Si nous sommes « entrés » en Etat, c’est parce que nous y trouvons ce que nos particularismes tribaux ou ethniques, dans leurs limites, ne peuvent nous offrir.

Kasereka Kavwahirehi est professeur de littératures francophones à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de l’essai Politiques de la critique. Essai sur les limites et la réinvention de la critique francophone, éd. Hermann (2021).

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