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Service des urgences de l’hôpital Charles-Nicolle, à Tunis, le 16 juillet 2021. FETHI BELAID / AFP
A 6 heures du matin, mardi 20 juillet, les rues de Tunis sont encore désertes. Il semble loin le temps où les fidèles se souhaitaient une bonne fête de l’Aïd, sur les trottoirs, juste après la prière. Cette année, la virulence de la crise sanitaire en Tunisie empoisonne l’atmosphère, faisant passer au second plan la grande fête du sacrifice, l’une des plus importantes du calendrier musulman. Les 150 décès quotidiens comptabilisés ces derniers jours dans un pays de 12 millions d’habitants et le manque d’oxygène dans les hôpitaux enlèvent l’envie de célébrer à beaucoup de Tunisiens.
Amor Ghedifi, 67 ans et ingénieur à la retraite, déguste son café matinal, le masque chirurgical sur le menton. « Le cœur n’y est pas, en sortant ce matin, j’ai même oublié de souhaiter “Aidek Mabrouk” à mes voisins, car d’habitude je le fais juste après la mosquée. Cette année, tout est fermé. Depuis 1980, j’allais chaque année faire ma prière, dire bonjour à mes amis et ensuite j’égorgeais le mouton, là ce n’est plus pareil », dit-il. En une semaine, il a perdu quatre de ses amis de quartier à cause du Covid-19. « J’ai acheté le mouton pour les enfants, mais nos priorités sont clairement ailleurs, explique de son côté Semia, 38 ans, sortie pour acheter du pain. Je m’inquiète beaucoup pour leur futur et la situation du pays. »
Le pays compte 17 644 décès du Covid et, depuis début juillet, le système de santé supporte difficilement l’afflux de malades. De nombreux pays, associations et particuliers se mobilisent depuis des jours pour acheminer vaccins, oxygène et équipement afin de soulager les hôpitaux. Après avoir reçu de nouvelles doses de vaccins cette semaine, le ministère de la santé a annoncé, la veille de l’Aïd, que la vaccination serait ouverte à toutes les personnes âgées de plus de 18 ans pendant les deux jours de congé liés aux festivités. Une façon d’accélérer la campagne alors que seulement 8 % de la population a déjà reçu ses deux doses.
« Mon cœur me fait mal »
Malgré les nombreux dons et la mobilisation internationale qui ont suivi l’appel à l’aide lancé début juillet par les autorités, le pays n’est pas au bout de ses peines. Dimanche, la vidéo d’un médecin en pleurs à cause du manque d’oxygène dans son hôpital à Mateur, à une soixantaine de kilomètres de Tunis, a fait le tour de la Toile, soulevant une forte émotion populaire.
Devant les hôpitaux, comme celui de Charles-Nicolle, à Tunis, certains attendent des nouvelles de leurs proches. Nejiba Ghedira, 66 ans, vient tous les jours voir sa mère, hospitalisée depuis une semaine. « Hier, elle manquait d’oxygène. J’espère que ça va mieux aujourd’hui et qu’ils ont pu lui trouver une solution », souffle Nejiba, qui enfile une surblouse et un second masque avant de se diriger vers le service covid de l’hôpital. « Quand les gens me souhaitent “Aidek Mabrouk” dans la rue, mon cœur me fait mal. De quelle fête parle-t-on dans un tel contexte ? », lâche-t-elle.
D’autres, face à la situation économique morose du pays, tentent de tirer parti des célébrations, comme ces groupes de jeunes en bord de route qui allument des barbecues de fortune pour faire cuire les têtes et les pattes du mouton. « On fait payer le service entre 5 et 8 dinars (entre 1,50 et 2,50 euros). Covid ou pas Covid, nous sommes sans travail, donc c’est l’un des seuls jours où on peut gagner un bon pactole », explique l’un d’eux.
Certains ont fait le choix de redistribuer l’argent de leur mouton pour aider les hôpitaux. comme Lassad Jeffel, un chauffeur de taxi âgé de 62 ans, sacrifie lui-même l’animal depuis trois décennies. Mais cette année, d’un commun accord avec sa femme et ses enfants, il a reversé son budget de l’Aïd à une collecte de fonds destinée à acheter un concentrateur à oxygène pour un malade. D’habitude il donne un peu d’argent pour aider les plus démunis à acheter un mouton, « mais cette année, tout va pour les malades du Covid » insiste-t-il.
« Forme de schizophrénie »
Chiraz Manai, elle, a convaincu sa mère, pourtant éleveuse de moutons, de ne pas sacrifier la bête cette année et de l’offrir à des personnes dans le besoin. « Nous aidons également les hôpitaux comme nous pouvons, en leur donnant des masques et denrées alimentaires », indique cette communicante de 28 ans.
Elle déplore que certains continuent d’enfreindre le protocole sanitaire malgré la gravité de la crise. « Il y a une forme de schizophrénie. Sur Facebook, tout le monde relaie les mesures de sécurité et se plaît à prendre en photo ceux qui ne respectent pas les restrictions sanitaires, mais les cafés sont toujours remplis et les supermarchés blindés pour les courses avant l’Aïd. Beaucoup de gens restent irresponsables face à la maladie », déplore-t-elle.
Samia Ben Abdallah, 41 ans, architecte et designer, est passée chez sa mère prendre des brochettes de bœuf et de la slata méchouïa, la salade de poivrons qui accompagne le mechoui de l’Aïd. « Je suis restée masquée, à l’extérieur de chez elle. On s’est dit au revoir avec un signe de la main et le sourire dans les yeux, comme un geste signifiant notre impuissance et notre acceptation des événements », raconte Samia. Elle veut profiter de l’ouverture à tous des centres de vaccination pour essayer d’avoir sa première dose.
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