Le jeune Slovène a écrasé la concurrence et s’apprête à remporter dimanche le Tour de France pour la deuxième fois consécutive à seulement 22 ans. Mais ses performances hors du commun et sa domination sans partage soulèvent des interrogations dans le monde du cyclisme, qui craint un retour aux années Armstrong.
Moins d’un an après sa première victoire sur le Tour de France, Tadej Pogacar devrait remporter, dimanche 18 juillet, sa deuxième Grande Boucle à seulement 22 ans, sauf improbable retournement de situation dans la 21e étape – une dernière journée de course ressemblant traditionnellement à un défilé de gala.
Alors que sur le Tour 2020, il avait attendu le dernier moment et le contre-la-montre de la Planche des Belles Filles pour soustraire le maillot jaune à son compatriote Primoz Roglic, Tadej Pogacar a cette année porté la tunique de leader pendant treize jours. Une domination écrasante qui suscite la suspicion de nombre de suiveurs alors que le monde du cyclisme peine à exorciser les vieux démons du dopage.
Un coureur au-dessus des autres
C’est simple : le Slovène n’a jamais semblé en danger. Dans le premier contre-la-montre, celui de Laval, Tadej Pogacar a battu sur leur terrain les meilleurs spécialistes de la discipline, à commencer par le champion d’Europe en titre, le Suisse Stefan Küng.
Puis les montagnes sont arrivées et le coureur de l’UAE Emirates a tout écrasé. Attaquant dans l’avant-dernier col, il a relégué à plus de trois minutes la plupart de ses concurrents directs en réalisant des montées en un temps record. Dans la dantesque étape de Tignes le lendemain, rebelote : il dépose à nouveau ses adversaires, totalement impuissants.
Lors de la troisième semaine de course, dans la traversée des Pyrénées, Tadej Pogacar ne laisse que des miettes à ses adversaires, s’offrant les deux étapes reines au col du Portet et à Luz Ardiden. Malgré les tentatives de ses deux concurrents au classement général Richard Carapaz et Jonas Vingegaard, il s’avère impossible à décramponner. Deux victoires d’étape supplémentaires qui lui offrent au passage le maillot à pois de meilleur grimpeur pour un triplé jaune/blanc/pois qu’il avait déjà effectué de manière historique l’an dernier.
La légende Eddy Merckx, 34 victoires d’étapes et cinq Grandes Boucles victorieuses à son actif, voit en lui un digne successeur et est prêt à lui léguer son surnom. « Je vois en lui le nouveau ‘Cannibale’ », a ainsi commenté le Belge lors de la 19e étape, sur laquelle il était présent. « S’il ne lui arrive rien, il peut certainement gagner le Tour de France plus de cinq fois. »
Un étonnant écart sur ses adversaires
Plus encore que les statistiques sur ses montées, c’est l’aisance affichée par le Slovène qui interpelle. Certes, contrairement à lui, ses concurrents annoncés n’ont pas été épargnés par les chutes, mais sa facilité a réveillé les vieilles suspicions dans un milieu où la tricherie a longtemps été omniprésente. L’histoire du Tour impose la prudence, surtout après le traumatisme durable des années Armstrong (sept victoires rayées du palmarès pour dopage entre 1999 et 2005).
Selon l’ancien entraîneur de Festina Antoine Vayer, un obstiné de la lutte antidopage, la puissance en watts développée par Tadej Pogacar rappelle celle de l’Américain, tout comme l’écart mesuré avec ses adversaires : près de 10 %.
Au début de la troisième semaine sur les routes de France, le deuxième du classement général était relégué à plus de cinq minutes. Du jamais-vu depuis l’édition 2000… et donc encore une fois depuis l’ère Lance Armstrong.
« Je serais prudent. Très. Je préférerais applaudir Thibaut Pinot. Les autres, en fait, je ne les connais pas. Et je ne mettrais pas ma main au feu », a confié pour sa part Jean-René Bernaudeau, maillot jaune du Tour de France en 1979 et désormais manager de l’équipe TotalEnergies, au quotidien régional Ouest-France.
Le bruit suspect de certains vélos
Cette édition 2021 semble marquer le retour à la suspicion généralisée au sein du peloton. Le quotidien suisse Le Temps rapporte ainsi qu’au moins trois coureurs auraient même décidé de mener l’enquête après avoir entendu un bruit suspect émanant de vélos d’autres équipes. Les formations incriminées ? La Bahrain Victorious, la Deceuninck-Quick-Step, de Julian Alaphilippe, la Jumbo-Visma du deuxième du classement général, Jonas Vingegaard, et l’UAE Emirates du maillot jaune Tadej Pogacar. À elles quatre, ces équipes ont raflé 14 victoires d’étape sur les 20 disputées avant les Champs-Élysées.
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« [Le bruit suspect] provient des roues arrière. Un bruit métallique étrange, comme une chaîne mal réglée. Je n’ai jamais entendu ça nulle part », explique un premier coureur interrogé par Le Temps. « On ne parle plus d’un moteur dans le pédalier ni d’un système d’électroaimant dans les jantes des roues, mais d’un appareil caché dans le moyeu… On parle aussi d’un récupérateur d’énergie via les freins. L’inertie est stockée comme en Formule 1 », poursuit un deuxième.
Pogacar, 51km/h hier, a accéléré dans les quatre difficultés du parcours par rapport aux rouleurs. Sur le plat son vélo a roulé à 50km/h, comme les Kung, WvAert, Asgreen. Il a conduit, avec deux vitesses dés que la pente monte… #TDF2021 #Teamwattthefuck pic.twitter.com/9AV5W2s6jb
— ?ntoine VAYER ??️ (@festinaboy) July 1, 2021
Des accusations d’utilisation dissimulée de vélo électrique qui, là encore, renvoient aux années Armstrong. Dans un livre paru en 2021, Jean-Pierre Verdy, fondateur et ancien directeur du département des contrôles de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), fait part d’une intime conviction qu’il n’a jamais pu prouver quand il était en activité : si l’Américain dominait autant ses adversaires, c’est qu’il cumulait dopage classique et mécanique.
Devant la montée des soupçons, l’UCI s’est sentie obligée d’annoncer avant la 16e étape qu’elle avait minutieusement réalisé 720 contrôles de vélos sur les deux premiers tiers du Tour de France.
Un entourage au passé trouble
Pendant toute la durée du Tour, Tadej Pogacar a tenté d’éteindre les doutes que ses performances faisaient naître. Il a avoué « ne savoir que faire pour prouver [son] innocence », tentant de mettre en avant tous les tests antidopage auxquels il était soumis.
Pogacar paie en partie son identité slovène, un pays au cœur de l’affaire Aderlass – un réseau de dopage sanguin mis au jour en 2019, d’abord en Autriche puis dans d’autres pays dont la Slovénie –, même si son nom n’a jamais été cité dans ce dossier qui a concerné plusieurs sports.
Tadej Pogacar doit aussi assumer le poids des noms sulfureux qui dirigent son équipe, l’UAE Emirates : Mauro Gianetti et Matxin Fernandez sont deux anciens responsables de la défunte équipe Saunier Duval dont les chefs de file (Ricco, Piepoli, Cobo, Mayo) avaient tous eu maille à partir avec les autorités antidopage à la fin de la décennie 2000 – la formation avait même été obligée de se retirer du Tour 2008. Quant au directeur sportif de l’UAE Emirates, l’ancien coureur slovène Andrej Hauptman, il avait pour sa part été recalé au départ du Tour de France 2000 pour un hématocrite supérieur à la norme.
Pas très étonnant donc que le site cyclisme-dopage.com ne se montre pas tendre avec l’équipe de Tadej Pogacar en lui donnant la plus mauvaise place de son indice de confiance sur les 23 formations présentes au départ : « Nous attribuons à UAE Emirates la note de 2/20. C’est, de loin, la pire note de notre classement. »
Un palmarès solide
Pour la défense de Tadej Pogacar, ses performances ne sortent pas de nulle part. Le jeune Slovène a très tôt affiché des résultats prometteurs dans le cyclisme. Il a notamment remporté le prestigieux Tour de l’Avenir, un mini-Tour de France version espoirs, sur lequel plusieurs coureurs se sont révélés, dont Egan Bernal, vainqueur du Tour en 2019.
Sur les grands Tours, Tadej Pogacar impose immédiatement sa puissance : en 2019, il remporte trois victoires d’étape de la Vuelta et s’adjuge la troisième place, derrière son compatriote Primoz Roglic. L’année suivante, sur la Grande Boucle, il s’offre également trois victoires… sans oublier les maillots jaune, blanc et à pois.
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Peut-être Pogacar est-il tout simplement un surdoué du vélo, un « fuoriclasse », ce type de champions au-dessus de la concurrence. Si le passé de sa discipline incite forcément à se poser des questions, le maillot jaune slovène reste présumé innocent.
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