Editorial du « Monde ». C’est peu de dire que Haïti, dont le président, Jovenel Moïse, a été assassiné, mercredi 7 juillet, est un Etat failli. La malédiction semble frapper ce pays de 11 millions d’habitants qui partage, avec la République dominicaine, l’île d’Hispaniola et qui fut, avec les Etats-Unis, la première nation indépendante des Amériques. Dictatures, coups d’Etat, corruption, tremblements de terre, cyclones et épidémies ont entretenu depuis des décennies la misère et l’insécurité d’une population impuissante.
L’assassinat d’un chef d’Etat élu est en soi un traumatisme politique majeur. Il est encore plus déstabilisant lorsque, comme c’est le cas à Haïti, il intervient dans un vide de pouvoir quasi total. Jovenel Moïse fut d’ailleurs l’un des artisans de cette faillite politique, gouvernant par décret depuis janvier 2020 après avoir échoué à organiser des élections législatives.
Le pays n’a plus ni Parlement ni Cour suprême en état de fonctionner. Il compte en tout et pour tout dix élus nationaux, dix sénateurs. Accusé d’avoir utilisé les gangs armés, seul secteur apparemment florissant à Haïti, pour se maintenir au pouvoir, le président pourrait bien en avoir été lui-même victime.
Deux jours après sa mort, l’assassinat n’avait pas été revendiqué et l’arrestation d’une quinzaine de suspects, pour la plupart colombiens, outre deux citoyens américains d’origine haïtienne, n’a pas permis d’identifier les commanditaires.
Cette nouvelle tragédie à Port-au-Prince contraint la communauté internationale, et tout particulièrement les Etats-Unis, premier donateur d’aide à Haïti, à se poser quelques sérieuses questions. Les centaines de millions de dollars dépensées depuis des dizaines d’années pour tenter de stabiliser le pays et sa démocratie n’ont servi à rien, ou presque. Il faut d’évidence prêter assistance aux Haïtiens, mais le moment est de nouveau venu de s’interroger sur la manière de le faire.
Fragilité de la situation
La question concerne en premier lieu Washington. Plus de 800 000 Haïtiens, dont beaucoup sont devenus américains, vivent aux Etats-Unis. En mai, l’administration Biden a prolongé de dix-huit mois le statut temporaire de résidence de 100 000 d’entre eux, reconnaissant que la précarité de la situation à Haïti ne leur permettait pas de rentrer chez eux. Cette immigration haïtienne aux Etats-Unis permet à de nombreuses familles à Haïti de survivre grâce à l’envoi d’argent, mais cela ne fait pas une politique durable.
Donald Trump s’accommodait parfaitement de la gestion de Jovenel Moïse et fermait les yeux sur le chaos haïtien. Son successeur, Joe Biden, a eu d’autres urgences en s’installant dans le bureau Ovale, en janvier, et s’est contenté d’appeler à des élections à Haïti. En février, puis en mai, des membres du Congrès ont pourtant attiré l’attention de la Maison Blanche et du département d’Etat sur la fragilité de la situation à Port-au-Prince et les dérives de Jovenel Moïse.
Il est irréaliste d’envisager de tenir des élections « justes et libres », comme l’exige la procédure démocratique, dans les circonstances actuelles. Le bon sens incite à cesser provisoirement de s’accrocher à la condition sine qua non des élections : c’est de gouvernance qu’Haïti a besoin dans l’immédiat. Aider les Haïtiens à former un gouvernement de transition, susceptible de stabiliser le pays afin de le mener à des élections, devrait être la priorité des Etats-Unis appuyés par les pays de l’Organisation des Etats américains.
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