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Birmanie : les médecins, cibles des militaires en pleine résurgence du Covid-19

En Birmanie, les soignants ont été les premiers à entrer en résistance contre le coup d’État à travers une grève illimitée. Cinq mois plus tard, elle se poursuit, entraînant une répression de plus en plus sévère par les militaires. Aujourd’hui, l’offre de soins se réduit comme une peau de chagrin alors que le pays connaît une flambée des cas de Covid-19. 

Ryan n’arpente plus les longs couloirs de l’hôpital général de Mandalay, en Birmanie. Depuis plus de cinq mois, sa blouse blanche est rangée. Ce spécialiste en médecine interne de 32 ans fait partie des centaines de soignants qui ont déserté les hôpitaux publics passés sous contrôle de l’armée birmane après le coup d’État du 1er février. « Je refuse catégoriquement de travailler pour les militaires », martèle-t-il auprès de France 24. 

Les soignants avaient été les premiers à entrer en résistance, quelques heures seulement après le putsch qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi. « J’ai juste pris le temps de renvoyer mes patients chez eux puis je suis parti manifester », se souvient Ryan. Peu après, sous leur impulsion, des milliers d’enseignants, de fonctionnaires et d’étudiants rejoignaient leurs rangs. 

Cinq mois après, face à une répression d’une violence inouïe, ces manifestations de grande ampleur sont devenues rares, laissant leur place à des affrontements entre des groupes de résistance formés de civils armés et les militaires. De leur côté, de nombreux soignants ont été obligés de prendre la fuite. D’autres continuent à essayer de travailler dans l’ombre, dans des hôpitaux de fortune. 

Quatre cents médecins menacés par des mandats d’arrêt

« Les soignants sont la figure centrale de ce mouvement de désobéissance civile qui paralyse encore aujourd’hui le pays », explique à France 24 Jennifer Leigh, épidémiologiste chargée de surveiller la situation en Birmanie pour l’ONG de défense des droits humains Physicians for humans rights. « Mais cette aura leur vaut aujourd’hui d’être l’une des cibles de la Tatmadaw, l’armée birmane. »

« La médecine est certainement la profession la plus respectée dans le pays et la junte a peur de l’influence que les soignants peuvent avoir sur la population », analyse-t-elle. « Historiquement, ils ont toujours joué un rôle majeur dans les soulèvements populaires et ont souvent marqué leur opposition aux militaires. »

Au total, près de 900 personnes sont mortes depuis le 1er février, selon le décompte effectué quotidiennement par l’Association pour l’aide aux prisonniers politiques (AAPP). Environ 5 100 individus ont été arrêtés et des milliers sont toujours portés disparus. Parmi eux, 157 médecins ont été emprisonnés, officiellement pour « troubles à l’ordre public », entre le 11 février et le 11 mai, d’après le recensement effectué par Physicians for Human rights. Douze ont été tués. 

« Quatre cents médecins et 180 infirmiers sont toujours visés par des mandats d’arrêt », affirme par ailleurs Jennifer Leigh. « Ils sont présentés comme des ‘ennemis de l’État’. Leur photo circule dans les médias, avec récompense à la clé pour quiconque fournirait des informations sur le lieu où ils se trouvent. »

« Les militaires peuvent arriver à n’importe quel moment »

À Mandalay, Ryan et plusieurs de ses collègues ont ouvert, dans les jours qui ont suivi le coup d’État ,un centre de soins improvisé. La débrouille est le mot d’ordre : l’adresse circule via le bouche-à-oreille et l’établissement fonctionne majoritairement grâce à des dons de citoyens. Les médecins y proposent des prises en charge basiques et entièrement gratuites. « Nous savons pertinemment que la menace est constante. Les militaires peuvent arriver à n’importe quel moment pour nous arrêter, voire pire », témoigne-t-il. 

« Pour le moment, j’ai décidé de rester ici, mais je suis prêt à fuir si cela est nécessaire », assure-t-il. Selon Physicians for Human Rights, 73 centres de soins ont ainsi été pris d’assaut depuis le coup d’État, les militaires mettant à sac les lieux à la recherche de ces soignants dissidents. 

4 July- Ma Myat Yee Thar, a medical student from University of Medicine Magway, was unlawfully abducted by SAC’s troops at around 11 a.m. Her phone was confiscated and the reason of abduction has not been known yet.#WhatsHappeningInMyanmar pic.twitter.com/KvW1OW6VLS

— Myanmar Doctors For Human Rights Network (@DoctorsRights) July 5, 2021

Comme Ryan, Zin, médecin à l’hôpital général de Rangoun, a raccroché sa blouse début février pour rejoindre le mouvement de désobéissance civile. Après avoir pris part aux manifestations organisées dans la ville, il a décidé de s’enfuir. Aujourd’hui, il n’ose plus travailler. 

« La seule chose que je fais, c’est proposer des téléconsultations via les réseaux sociaux », raconte-t-il à France 24. « C’est extrêmement frustrant. Des gens meurent chaque jour car nous ne pouvons pas les soigner. Mais les militaires sont prêts à tout pour nous punir. »

Depuis quelques semaines, les militaires sont cependant parvenus à rouvrir les hôpitaux généraux de Rangoun et Mandalay, les deux plus grands établissements du pays, en mobilisant des effectifs issus de leurs rangs. Mais face à l’absence des soignants, l’offre reste extrêmement limitée. 

« De toute façon, la population est très méfiante à l’idée de se faire soigner par des militaires. Pour beaucoup, c’est uniquement une solution de dernier recours », explique Ryan. « Certains essaient de se tourner vers des hôpitaux privés, mais ils sont généralement bien trop chers. D’autres préfèrent renoncer. »

Hausse des contaminations au Covid-19

Face à ce système de santé quasi à l’arrêt, les ONG et associations tirent la sonnette d’alarme. D’autant plus que depuis plusieurs semaines, la pandémie de Covid-19 connaît une forte résurgence. 

Jeudi 1er juillet, 1 500 cas de Covid-19 ont été enregistrés dans le pays, alors que le rythme était d’environ 100 par jour début juin. La Birmanie totalise officiellement 3 347 décès. Un chiffre certainement largement sous-évalué.

« De notre côté, on parvient à tester certains patients avec du matériel qu’on récupère illégalement. Ces données ne sont pas prises en compte dans les chiffres officiels mais elles montrent bien une forte hausse du nombre de cas », explique Ryan. « Au moment du coup d’État, nous avions déjà beaucoup de cas de Covid-19. Mais nous maîtrisions plutôt bien la situation. Je venais d’ailleurs de recevoir ma première dose de vaccin. »

« Aujourd’hui, j’ai peur qu’on se dirige vers un scénario à l’indienne », s’inquiète Zin. « Les militaires n’ont ni les moyens humains ni matériels de faire face à une nouvelle vague de contaminations. Certaines personnes se sont déjà ruées pour acheter de l’oxygène et des médicaments. Maintenant les prix grimpent en flèche et on s’approche d’une pénurie. »

La junte a mis en place des restrictions liées au Covid-19 dans plusieurs villes du pays, notamment à Mandalay mais aussi dans la région de Bago, dans le centre de la Birmanie. Il est ainsi interdit de quitter son domicile pour des raisons non médicales. Mais la situation est particulièrement inquiétante dans les zones frontalières. Plusieurs foyers de contamination y ont été détectés mais les conflits entre milices ethniques et militaires limitent drastiquement l’accès aux soins.

En matière de vaccination, les médias d’État ont annoncé que le chef de la junte, Min Aung Hlaing, avait accepté d’acheter deux millions de vaccins à la Russie. Une porte-parole du ministère de la Santé a par ailleurs déclaré que les autorités négociaient également avec la Chine pour acheter davantage de doses. Pour le moment, seule une cargaison de 1,5 million de vaccins était arrivée d’Inde en début d’année, pour un pays qui compte 54 millions d’habitants.

« Le système de santé birman était déjà structurellement fragile. Il ne se développait que depuis une dizaine d’années », rappelle Jennifer Leigh. En 2018, selon les données communiquées par la Banque mondiale, le pays ne comptait que 6,7 médecins pour 10 000 personnes. Bien loin des 15,6 de moyenne dans le monde. Et pour l’épidémiologiste de conclure : « Cette crise politique est en train de provoquer une catastrophe sanitaire. »

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