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Dans l’alimentaire et la mode, l’ »agriculture régénératrice » à tout bout de champ

Dans sa parcelle du nord de la France, Jean-Paul Dallene guette la présence de ses « travailleurs clandestins », des lombrics qu’il espère voir prospérer grâce à l’ »agriculture régénératrice », un concept adopté par les géants de l’alimentation et de la mode en quête de verdissement.

L’agriculteur enfonce sa bêche pour arracher un plant de pommes de terre. Les tubercules seront récoltés en fin d’été pour les usines françaises de la multinationale canadienne des frites surgelées McCain.

La motte de terre est constellée de résidus de végétaux que des champignons se chargent de décomposer, et parsemée de petits trous formés par le passage des vers.

Dans l’ »agriculture régénératrice », les lombrics sont utilisés pour enrichir les sols et les sols ne sont pas laissés à nu afin de les protéger et réduire la consommation d’eau (AFP/Archives – LOIC VENANCE)

« Mes copains les lombrics, mes travailleurs clandestins », sourit Jean-Paul Dallene, 51 ans, associé avec son frère à Oppy, dans le Pas-de-Calais.

L’exploitation a été désignée ferme pilote de McCain. Le groupe s’est récemment engagé à convertir, d’ici à 2030, ses fournisseurs aux « pratiques d’agriculture de régénération ».

Agriculture de régénération, régénératrice, régénérative…

Les grands noms de l’alimentation (Nestlé, Unilever, Danone, General Mills, PepsiCo…) du luxe et de la mode (LVMH, Kering, Patagonia, The North Face…) ont adopté ces termes méconnus du grand public dans leurs communications sur leurs engagements environnementaux.

Objectif: réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et rassurer sur la durabilité de leurs approvisionnements en matières premières agricoles comme le coton, pour le textile. Mais il n’existe pas de charte commune, et chaque société définit ses propres critères.

– Pas de révolution –

La notion de « régénération » est apparue pour la première fois à la fin des années 1970 dans la littérature agronomique aux Etats-Unis.

Diffusée plus largement depuis les années 2010, elle recouvre un ensemble de pratiques destinées à corriger les excès de l’agriculture intensive pratiquée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mise en cause pour le recul de biodiversité, l’appauvrissement des sols, l’utilisation massive de l’eau et son impact sur le réchauffement climatique.

Il s’agit généralement d’alterner les cultures, de ne pas laisser les sols nus, de limiter voire cesser le labour, de réduire l’utilisation des engrais et pesticides chimiques… Tout en préservant, voire augmentant les rendements.

Une évolution nécessaire pour rendre les exploitations plus « résilientes » face au changement climatique, selon le directeur agriculture de McCain en France et en Belgique, Maxence Turbant.

Dans la plaine où il cultive aussi du blé, des betteraves à sucre et des légumes, Jean-Paul Dallene a commencé à s’interroger « il y a cinq ans » devant une « bonne parcelle qui devenait dure » et dont les « rendements stagnaient ».

Champ de pommes de terre récolté au tracteur dans le centre de la France, en septembre 2020. Dans l’agriculture « régénératrice », les professionnels cherchent à réduire leurs interventions motorisées dans les champs (AFP/Archives – JEAN-FRANCOIS MONIER)

Depuis, il teste des techniques pour réduire ses interventions dans les champs qui tassent le sol, consomment du gazole et s’accompagnent souvent de traitements pesticides.

McCain l’incite aussi financièrement à utiliser une technologie alertant sur les risques de mildiou, afin de pulvériser du fongicide uniquement si nécessaire.

« Avant on traitait tous les sept jours », jusqu’à 22 fois par an, décrit Jean-Paul Dallene. Huit suffisent parfois, désormais.

Les fermes pilotes ont « vocation à montrer aux autres agriculteurs que ça marche » lors de formations sur place, explique Maxence Turbant.

Comment seront évalués les impacts sur l’environnement? « Les outils sont en train d’être affinés » avec l’aide de la fondation spécialisée Earthworm, indique le responsable de McCain, Maxence Turbant.

Pas de « greenwashing » là-dedans, assure-t-il: « On avance au rythme de la nature, on ne peut pas tout révolutionner en un an. »

– Définir des critères –

Le français Danone parle d’agriculture régénératrice depuis 2017.

Eric Soubeiran, son vice-président chargé du développement durable, défend la sincérité de cet engagement: « Quand une entreprise investit des ressources en temps, en hommes, en énergie, en intelligence, vous n’êtes pas dans l’incantation, vous êtes dans la transformation d’un modèle. »

« Je suis content que des entreprises nous aient emboîté le pas », ajoute-t-il, spécifiant qu’il était toutefois important de fixer des critères et des objectifs précis.

Danone a développé une grille d’évaluation avec l’ONG WWF. Et recourt à des « outils satellitaires, d’intelligence artificielle » pour « monitorer l’impact » sur les émissions de gaz à effet de serre.

Les annonces d’entreprises s’engageant en faveur de l’agriculture régénératrice laissent songeur Arnaud Gauffier, directeur des programmes de l’ONG WWF France.

Elles devraient, selon lui, définir « rapidement des critères minimums robustes » faute de quoi ce « concept intéressant » sera « vidé de sa substance ».

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