Les Salvadoriens de l’extérieur peuvent désormais transférer des fonds en bitcoin à leurs familles restées dans le pays. Mais se risqueront-ils à utiliser la cryptomonnaie au cours hautement volatile ?
Le président salvadorien Nayib Bukele a approuvé le 9 juin le bitcoin comme devise légale dans le petit pays d’Amérique centrale. Il a affirmé que son adoption évitera de perdre des « millions de dollars » en taux de change interbancaire lors des envois d’argent depuis l’extérieur.
Le Salvador, 6,4 millions d’habitants, est très dépendant de ces « remesas », qui représentent 24,1% de son Produit intérieur brut (PIB). Selon les données de la Banque mondiale (BM), en 2020, il a reçu plus de 5,9 milliards de dollars de ses ressortissants vivant hors du pays.
Le Salvador est ainsi le pays d’Amérique latine percevant le plus gros volume d’argent de sa diaspora, qui vit en majorité aux Etats-Unis, proportionnellement à la taille de son économie.
Avec une contraction de 7,9% du PIB en 2020 en raison de la pandémie, le Salvador parie sur la croissance de ces transferts de fonds (+4,8 % l’an dernier) comme un soutien important pour son économie dollarisée.
« En mai, les expéditions de bitcoins vers le Salvador ont quadruplé et pourraient encore s’accroître si le cours (des cryptomonnaies) continue d’augmenter », constate Edward Moya, analyste de marché chez Oanda, consulté par l’AFP.
Le président salvadorien Nayib Bukele lors de son discours annuel à la nation, le 1er juin 2021, à l’Assemblée législative à San Salvador (AFP/Archives – MARVIN RECINOS)
« Il s’agit d’une expérience en cours qui pourrait être couronnée de succès si la volatilité du bitcoin continue de baisser et que son prix évolue à la hausse », ajoute-t-il.
Mais M. Moya estime que dans un premier temps les « méthodes traditionnelles » d’envoi de dollars perdureront « jusqu’à ce que le bitcoin devienne un actif stable ».
Manuel Orozco, directeur du Centre pour la migration et la stabilisation économique à Washington, prévient cependant qu’ »il est faux de supposer qu’il n’y aura pas de frais de transaction » pour l’envoi de fonds en bitcoins « car le traitement lui-même et le sceau réglementaire entraînent des coûts ».
– « Lacunes » –
Le bitcoin est régulièrement critiqué par les régulateurs pour ses usages illégaux, notamment le blanchiment d’argent provenant d’activités criminelles, le financement du terrorisme et le manque de protection de ses utilisateurs.
D’autres pointent du doigt son empreinte carbone.
La Banque mondiale a rejeté jeudi la demande d’assistance du Salvador dans sa tentative d’adopter le bitcoin comme devise légale et devenir le premier pays au monde à l’utiliser à partir de septembre pour toutes les transactions.
Un homme paye en bitcoin dans un magasin à El Zonte, au Salvador, le 9 juin 2021 (AFP/Archives – Stanley ESTRADA)
« Ce n’est pas quelque chose que la Banque mondiale peut soutenir étant donné les lacunes en matière d’environnement et de transparence », a expliqué à l’AFP un responsable de la BM. La semaine dernière, le Fonds monétaire international (FMI) avait, lui, avait fait part de ses inquiétudes.
« L’adoption du bitcoin comme monnaie légale soulève un certain nombre de problèmes macroéconomiques, financiers et juridiques qui nécessitent une analyse très minutieuse », avait déclaré un porte-parole, notant les « risques importants ».
Le FMI a cependant accepté de rencontrer cette semaine des représentants du gouvernement salvadorien. La Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) a annoncé qu’elle fournirait son assistance technique.
– Volatilité –
Le cours du Bitcoin (AFP/Archives – Jonathan WALTER)
L’extrême volatilité du prix du bitcoin, qui peut faire varier la valeur d’un envoi entre son point de départ et son arrivée au Salvador, est l’un des problèmes les plus généralement pointés.
« Pour qu’une monnaie remplisse la fonction de réserve de valeur (…) elle ne devrait pas être aussi volatile », juge Oscar Cabrera, ancien président de la Banque centrale de réserve du Salvador.
Une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie du Salvador, publiée la semaine dernière, dévoile que 96,4% des hommes d’affaires du pays préfèrent que l’utilisation du bitcoin soit facultative, que 93,2% des salariés préfèrent conserver le dollar pour percevoir leurs salaires, et 82,5 % choisiraient la monnaie américaine plutôt que le bitcoin pour recevoir des transferts de fonds.
Pour M. Orozco, la circulation du bitcoin aurait cependant un côté positif : la génération d’ »une importante liquidité qui générerait un surplus pour le crédit et l’investissement », en plus de la modernisation du système bancaire.
« À court terme, sur le plan stratégique, c’est une opportunité pour le système financier salvadorien », juge-t-il.
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