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Les déboires qataris de Malcolm Bidali, improbable Rouletabille kényan

Sur le chantier du stade Lusail Iconic, où se jouera la finale de la Coupe du monde 2022, au nord de Doha, au Qatar, en décembre 2019. GIUSEPPE CACACE / AFP

LETTRE DU PROCHE-ORIENT

Dans les monarchies du Golfe, il n’est pas fréquent de trouver un travailleur immigré avec le tempérament d’un Albert Londres. Malcolm Bidali, un Kényan de 28 ans, employé d’une société de sécurité privée au Qatar, était cet oiseau rare. En dehors de ses heures de garde, le jeune homme publiait sur Internet des articles sous pseudonyme critiquant les conditions de vie des petites mains du miracle qatari : les deux millions d’Asiatiques et d’Africains qui triment dans la salle des machines de l’opulente cité-Etat et la préparent pour le grand jour, l’ouverture de la Coupe du monde de football, en décembre de l’année prochaine.

Mais le rédacteur autodidacte qui, à la manière de Londres, figure tutélaire des reporters, portait « la plume dans la plaie », risque de ne plus écrire, du moins sur le Qatar. Arrêté le 4 mai par les autorités locales, qui lui reprochent d’obscures « violations des lois et règlements en matière de sécurité », il n’a pas réapparu depuis. Les grandes ONG de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International et Human Rights Watch, redoutent une mesure de représailles, destinée à faire taire un employé un peu trop remuant.

« Si Malcolm est détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression, il doit être relâché immédiatement et inconditionnellement », écrivent ces organisations dans un communiqué sorti le 13 mai. Dans le cas contraire, elles incitent les autorités qataries à rendre publics les faits qui lui sont reprochés et à lui assurer un procès en bonne et due forme.

Camp crasseux

C’est en 2016 que Malcolm débarque pour la première fois au Qatar. Le jeune Kényan menait jusque-là une vie de bâton de chaise. Chassé du domicile familial, il survivait grâce à des petits boulots, la manche et des « choses dont [il n’était] définitivement pas fier », écrit-il dans l’un de ses textes, signés du nom de Noah, sur le site de l’ONG Migrant-Rights. « Trois dollars par jour constituaient un bon jour, mais ce genre de jours n’arrivait pas souvent. » Quand un voisin des Emirats arabes unis lui fait miroiter un emploi dans le Golfe, il voit l’opportunité de sortir de ce « trou noir ».

Une visite dans une agence de recrutement qui lui fabrique de toutes pièces un CV d’agent de sécurité, un entretien d’embauche où il fait preuve de « beaucoup d’imagination » et le voilà dans un avion pour Doha. Sa première expérience, des rondes sur la corniche du Pearl, une marina ultra-luxueuse, lui laisse un bon souvenir. Le salaire est misérable (1 300 rials, soit 300 dollars pour 8 heures par jour et 6 jours par semaine) mais dans les standards du Golfe, et il tombe avec régularité, ce qui lui permet de manger à sa faim. Il dort dans l’une des gigantesques cités ouvrières bâties par le Qatar en vue du Mondial, dans une chambre spacieuse et propre, avec cinq collègues. « Un logement modèle », écrit-il.

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