Ce soir, un hélicoptère de la police plane au-dessus de Belfast-Est, brassant l’air tandis qu’il surveille les rues. Les hélicoptères nous jouent une bande-son permanente depuis le début des émeutes en avril. Je n’y fais même plus attention. Quand on vit en Irlande du Nord, c’est incroyable tout ce à quoi on finit par s’habituer. La bruine perpétuelle. Les politiciens qui préfèrent la polémique au dialogue. Une Assemblée, associée à l’exercice du pouvoir, qui s’effondre fréquemment, conduisant le pays au bord de la paralysie législative. Les murs de la paix et la ségrégation scolaire : un rappel constant que, malgré tous nos efforts, cette ville reste un lieu de vie divisé. Des paramilitaires affichent leur présence continue par des fresques au coin des rues et des tabassages punitifs à nouveau en forte augmentation.
J’avais 18 ans en 1998, quand fut signé l’accord de paix du Vendredi saint [mettant fin à trente ans de guerre civile]. J’ai cru naïvement que l’Irlande du Nord aurait un visage très différent vingt-trois ans plus tard. D’accord, elle est nettement plus paisible qu’autrefois mais les « troubles » n’ont pas complètement disparu. Je crois que notre autosatisfaction est en partie à blâmer. Nous nous sommes habitués à un bas bruit constant d’intimidations, de sectarisme et de violence, tout ce que nous avons toléré est devenu le statu quo. Quand des amis étrangers s’enquièrent de la situation actuelle à Belfast, en général je réponds : « C’est un brin tendu en ce moment. » Ça fait vingt ans maintenant que je répète cette phrase. La paix n’a jamais paru vraiment stable en Irlande du Nord. Aujourd’hui, elle est d’une fragilité presque insupportable.
Pénurie de marchandises
La tension qui règne ici est des plus difficiles à expliquer. Dans le passé, il y avait deux points de vue. Catholique et protestant. Ou bien « nous et eux », comme on dit par ici. Aujourd’hui, ces récits binaires ont été brisés, modifiés, et supplantés par une multiplicité de points de vue différents. Il n’existe ni récit arrêté ni notion ferme de la vérité. Ainsi, un événement comme le centenaire de l’Irlande du Nord (commémoré en mai 2021) a été célébré par les unionistes [fidèles à la couronne britannique], et contesté au sein de la communauté nationaliste qui ne reconnaît pas l’autorité britannique.
Que nous ne puissions pas nous accorder sur une version établie de notre histoire, ça n’a rien de surprenant ; il n’y a même pas consensus sur le nom qu’on devrait donner à ce lieu. C’est Irlande du Nord pour certains, nord de l’Irlande pour d’autres. Les gens d’ici se battent souvent sur des questions de sémantique. Les mots peuvent être des armes s’ils tombent dans les mauvaises mains.
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