Nos rencontres printanières se poursuivent avec cette semaine, le transport du professeur Kazatchkine. Ancien directeur d’ONUSIDA, Michel Kazatchkine en est toujours un membre actif. Spécialiste de santé publique, il enseigne également en Suisse, à l’Institut des Hautes Études Internationales de Genève. De passage à Paris, il représente le nouveau groupe de réflexion sur les épidémies mondiales. Rencontre.
RFI : Les auditeurs de RFI vous connaissent bien professeur Kazatchkine. Au nom de l’ONUSIDA, mais aussi de ce nouveau groupe de réflexion internationale sur les épidémies mondiales, vous intervenez dans les médias du monde entier. Pour résumer, votre première maison, c’est l’avion ?
Michel Kazatchkine : On peut dire ça, oui. D’ailleurs, je crois avoir pris toutes les sortes d’avions, des petits, des gros et des hélicoptères aussi. Tous les modèles imaginables ! En une semaine, je peux passer des avions les plus luxueux aux appareils de compagnies considérées peu sûres, inscrites sur les listes noires. L’ONU ne les valide pas, je n’aurais normalement jamais dû les prendre, notamment en Asie centrale dans des pays comme l’Ouzbékistan, le Kazakhstan. Même en Amérique latine, cela m’est arrivé, en Colombie par exemple.
Des missions effectuées sur le terrain au plus près des malades du sida, de la tuberculose ou du paludisme ?
Oui. Dans ces cas-là, de régions éloignées telles que la Sibérie, vous n’avez pas trop le choix. Mais je vais vous dire une chose… Premièrement je n’ai pas peur. Deuxièmement, les gens de ces localités-là, ils les prennent bien ! Alors je ne vois pas pourquoi, au nom d’un quelconque privilège, je m’interdirai d’y aller.
Malgré tout, est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’avoir peur ?
Pas vraiment peur, mais me sentir tout petit, oui ! C’était en Afrique, au Burkina Faso, dans un avion qui volait à moyenne altitude. Une partie de l’appareil était complètement ouverte sur le vide. Je voyais le ciel, le vide, et à l’intérieur, on sentait l’air froid. Cette sensation, je crois que je ne l’oublierai jamais.
Lors de vos missions, vous rencontrez les chefs d’États et les grands patrons, comme Jeff Bezos ou George Soros, d’éventuels donateurs pour les luttes médicales que vous défendez. Avec des voyages parfois précipités…
Un aller-retour en 24h chrono ! De Paris en Californie, avec les fuseaux horaires bien entendu. La directrice de Facebook m’avait invité dans sa propriété privée. Elle voulait me faire rencontrer ses amis, de riches hommes et femmes d’affaires susceptibles d’investir dans la recherche pour de nouveaux traitements.
Et ça ne s’est pas déroulé comme prévu…
Après une soirée au bord de la piscine, à converser face à des regards éplorés, regrettant la misère du monde. Mais au final, pas un centime donné ! Échec avec un retour en France un peu amer. Dans l’avion, je repensais à ces Californiens ultra riches, pleins de bonnes paroles, mais en réalité, bien indifférents au bien-être universel.
Comment vit-on quand on passe 90% de son temps dans des aéroports et des avions ?
Lorsque je suis dans des missions officielles pour aller voir des ministres, je voyage en classe affaires. Je dois tirer un chapeau à Air France, pour moi, la meilleure compagnie du monde. Je suis gâté et j’en suis conscient. Ces conditions sont idéales pour travailler. Le téléphone est coupé. On est dans sa bulle, avec son ordinateur. D’ailleurs, c’est là qu’on travaille le plus efficacement. La concentration y est maximale.
En dehors de l’avion, vous avez une histoire d’amour avec les trains. Une passion de longue date ?
Enfant, je rêvais d’être chef de gare. Dans ma chambre, j’avais tous les registres des horaires des chemins de fer. Ils étaient aussi épais que les anciens annuaires téléphoniques. J’adorais m’inventer des itinéraires. J’y passais tout mon temps de loisirs. Au crayon, j’inscrivais sur des cahiers le chemin pour aller dans le sud, en Provence. L’idée même de savoir qu’en prenant le train de 13h27 le jeudi, on arrivait dans les Alpes à 23h27 avec un changement à 17h36, par autobus, ça me mettait en joie.
Une idée sur l’origine de ce jeu favori ? Une transmission familiale ?
Nous habitions à Paris avec mes parents. Une tante vivait en Suisse et nous y allions pour les vacances. La Suisse est le paradis des trains. Des bleus, des blancs, des rouges, il y en a partout. Les trains de la poste, ceux pour les gens. Ils les prennent tous les jours y compris pour des petits trajets de 4 à 10 km. C’est en Suisse que l’on voit les trains crémaillère, ces trains capables de monter la haute-montagne. Dans les gares, vous voyez tous les modèles. Je peux vous le dire puisque aujourd’hui, j’habite en Suisse. Parfois, un hall, un message d’excuse annonce qu’il y aura une minute de retard sur un trajet. Les Suisses sont les champions de l’exactitude.
En voiture, ce sont lors de trajets officiels que vous avez vécu les aventures les plus savoureuses.
En Afrique, en Côte d’Ivoire. Je tiens à préciser que la plupart du temps, tout se passe sans problèmes. Mais une fois, j’étais très en retard après une réunion. Mon avion allait décoller et un ministre m’a proposé sa garde de motards pour éviter les bouchons sur la route. J’étais ravi. Le véhicule était entouré de motocyclistes et avait pris des routes que je ne reconnaissais pas. Au bout d’une demi-heure, la voiture s’arrête. Je vais voir les motards, ils me disent, on est désolés on s’est perdus !
Vous êtes médecin, professeur de médecine, vous est-il arrivé de sauver des vies dans un avion, un train ou sur la route ?
Sauver des vies, c’est un bien grand mot, mais oui, très souvent j’interviens. Le fameux « y a-t-il un médecin dans l’avion » n’est pas un mythe. L’aventure la plus marquante m’est arrivée sur un vol en Amérique. Nous venions de décoller de New York. Un jeune homme est pris de tremblements, se plaignant de douleurs atroces dans la poitrine. Je lui ai pris la tension. J’ai tenté de la calmer en lui tenant la main durant tout le voyage. Il s’appelait Robert. À l’atterrissage, une escorte de pompiers s’est précipitée dans l’appareil. Ils ont voulu allonger Robert sur une civière. Mais lui, il a refusé. Il criait, il voulait absolument que ce soit moi, le docteur qui lui avait tenu la main, qui l’accompagne à l’hôpital.
Le fin de mot de l’histoire, a-t-il frôlé l’arrêt cardiaque ?
Pas du tout ! C’était une crise de panique. Il devait passer un entretien de travail. La pression du rendez-vous et le stress de l’avion, ont provoqué l’angoisse. Le plus croustillant dans cette histoire, c’est qu’avec Robert, nous sommes restés en relation. Il m’écrit à chaque Noël depuis l’Oregon, un village reculé du nord-ouest des États-Unis. Comme quoi, les transports nous mènent souvent vers les surprises.
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