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Sayragul Sauytbay, « formatrice » dans un camp de rééducation du Xinjiang

Sayragul Sauytbay à Paris, le 10 mai 2021. JULIEN DANIEL / MYOP POUR « LE MONDE »

C’est un univers de rafles au milieu de la nuit, de cagoules noires enfoncées sur la tête, d’êtres humains blessés dans leur âme et leur corps, enrôlés dans une mécanique de la peur et de l’auto-incrimination aux ressorts presque burlesques s’ils n’étaient tragiques.

Sayragul Sauytbay, 44 ans, directrice d’école du Xinjiang, d’ethnie kazakhe, cadre du Parti communiste chinois (PCC), fut pendant cinq mois chargée de « former » des détenus kazakhs et ouïgours d’un camp d’internement secret du district de Mongolküre (« Zhaosu » en chinois), à l’ouest du Xinjiang, non loin de la frontière du Kazakhstan, entre novembre 2017 et mars 2018.

Elle dit revivre ce cauchemar à épisodes réguliers : « Je dors encore très peu la nuit, trois ou quatre heures, je vois parfois en rêve les visages de ceux qui sont dans le camp, ils tendent leurs mains vers moi et je n’arrive jamais à les tirer de là », explique-t-elle au Monde lors d’un passage à Paris, le 10 mai, pour présenter la version française du livre qu’elle a coécrit avec la journaliste allemande Alexandra Cavelius (Condamnée à l’exil : Témoignage d’une rescapée de l’enfer des camps chinois. Editions Hugo Publishing, 19,95 euros).

Médecin reconvertie dans l’éducation, Sayragul Sauytbay dirige cinq écoles maternelles à Mongolküre quand le contexte déjà très répressif du Xinjiang, où Pékin a déclaré la « guerre au terrorisme » en 2014 à la suite d’une vague d’attentats, s’aggrave un peu plus après la nomination d’un nouveau secrétaire du parti, Chen Quanguo, en août 2016. Elle est Kazakhe, la deuxième ethnie musulmane et turcophone (1,5 million de personnes) de la région « autonome », après les Ouïgours (11,5 millions). Sa famille a, depuis plusieurs années, le projet d’émigrer au Kazakhstan, mais seuls son mari, qui a quitté la fonction publique, et ses deux enfants, obtiennent un passeport et partent. Elle reste bloquée, en attente du sien – comme tous les fonctionnaires.

Ne jamais rien révéler

Un soir de novembre 2016, elle est convoquée avec 200 autres cadres kazakhs et ouïgours du parti à une grande réunion, où leur est présenté par des officiels hans (ethnie chinoise dominante) le projet de « déradicalisation » des « autochtones dont la tête est polluée par des idées nauséabondes et perfides ». Le moyen ? Des centres de « transformation par l’éducation », l’expression qui désigne en Chine la rééducation.

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