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Gaza : “Le Hamas sort renforcé d’un conflit dans lequel il s’est invité”

Selon les experts du Proche-Orient, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007, a marqué plusieurs points au terme du conflit de 11 jours qui l’a opposé à l’armée israélienne. Aussi bien sur le plan politique que militaire, en démontrant sa capacité à frapper le territoire israélien.

À peine les armes se sont-elles tues à Gaza et en Israël, après l’entrée en vigueur vendredi d’un cessez-le-feu mettant fin à 11 jours d’un violent conflit entre l’armée israélienne et le Hamas, que le gouvernement israélien et le mouvement islamiste palestinien ont tenté, chacun de son côté, de se présenter comme l’unique vainqueur de ce dernier cycle de violences.

« À l’issue de cette campagne, on ne voit pas de victoire claire pour un camp ou pour l’autre, indique Gallagher Fenwick, envoyé spécial de France 24 à Jérusalem. Et c’est probablement pour cette raison qu’il y a eu cet accord de cessez-le-feu sans condition, qui permet aux deux parties de sauver la face et de pouvoir présenter une sorte de victoire à son propre camp. »

« Nous avons atteint les objectifs de l’opération avec un succès exceptionnel », a déclaré de son côté, vendredi, Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre israélien a affirmé dans des propos diffusés en direct à la télévision que « le Hamas ne peut plus se cacher », et précisé que l’armée israélienne avait « éliminé plus de 200 terroristes dont 25 gradés ».

De leur côté, des milliers de Palestiniens sont descendus, peu après le cessez-le-feu, dans les rues de Gaza et même de plusieurs villes de Cisjordanie, fief de l’Autorité palestinienne rivale, pour fêter en liesse le Hamas et ce qu’ils ont appelé « la victoire de la résistance ».

« Le porte-voix des intérêts palestiniens »

« Le Hamas sort renforcé d’un conflit dans lequel il s’est invité, dans la mesure où il a réussi à s’arroger un rôle dans une séquence qui s’est ouverte sur la montée des tensions sur l’esplanade des Mosquées et plus largement à Jérusalem-Est, dont il était exclu à l’origine », analyse Beligh Nabli, chercheur associé au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po et auteur de « Géopolitique de la Méditerranée » (éd. Armand Colin). « En faisant basculer la confrontation avec Israël dans un volet plus militaire », poursuit-il, « le Hamas a cherché à se présenter comme un instrument de défense face à l’armée israélienne et à jouer le porte-voix des intérêts palestiniens dans un moment caractérisé par un vide d’incarnation de l’unité palestinienne ».

Le mouvement islamiste a rappelé aux Palestiniens qu’il est le seul mouvement à faire face, à sa manière, aux Israéliens, alors que le Fatah du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, au pouvoir en Cisjordanie, est marginalisé et inaudible tant sur la scène nationale qu’internationale.

« Durant ce conflit, le Hamas a affiché une capacité dont ne dispose pas l’Autorité palestinienne, d’autant plus que celle-ci a écarté depuis les accords d’Oslo (en 1993) tout recours à la violence dans ses rapports avec Israël, note Beligh Nabli. Alors que le président Mahmoud Abbas pâtit d’une délégitimation en raison de l’expiration depuis plusieurs années de son mandat, et de sa décision de reporter les élections, le mouvement islamiste a réussi d’une certaine manière un coup politique en ressortant de cette confrontation comme un défenseur des intérêts palestiniens. »

Affaibli par une fronde dans son propre camp, Mahmoud Abbas avait annoncé, fin avril, le report des premières élections en quinze ans dans les Territoires palestiniens, pourtant prévue dans le cadre d’un projet de « réconciliation » avec les islamistes du Hamas.

« Les Israéliens ont été pris de court par le Hamas »

Au-delà des calculs politiques, le Hamas, qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’UE, s’est replacé sur l’échiquier proche-oriental pour apparaître comme un acteur incontournable du conflit israélo-palestinien.

« Le Hamas était prêt depuis quelques jours à accepter une trêve puisqu’il avait obtenu les gains souhaités, explique Agnès Levallois, maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. À savoir revenir dans le jeu proche-oriental et prendre la défense de Jérusalem, alors qu’il était, jusqu’ici, cantonné à la bande de Gaza. »

« Régulièrement, depuis plusieurs années, des opérations israéliennes contre Gaza visent à faire disparaître les capacités militaires du Hamas et du Jihad islamique, poursuit Agnès Levallois, également vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo). Or, à chaque fois, ces mouvements arrivent à se relancer. » Et donc à continuer à peser à la fois sur l’équation interpalestinienne et sur la question israélo-palestinienne.

Jusqu’au dernier jour du conflit, le Hamas est parvenu à tirer des roquettes en direction d’Israël, en dépit de la pression des bombardements israéliens et une surveillance constante de l’enclave palestinienne. Il a aussi prouvé sa capacité à constituer un arsenal sans précédent, malgré le blocus imposé par Israël.

« Les Israéliens ont été pris de court par le Hamas, qui était à l’initiative lors de ce conflit en tirant les premières roquettes sur l’État hébreu, et par la puissance de feu proposée depuis la bande de Gaza, grâce à un arsenal patiemment reconstitué après la guerre de 2014, développe Gallagher Fenwick. Une puissance de feu qui lui a permis de saturer par moment le système de défense ultrasophistiqué des Israéliens, avec comme pilier central le Dôme de fer ».

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Le mouvement palestinien se targue également d’avoir paralysé le trafic aérien israélien et d’avoir incarné, grâce une intensité de tir sans précédent de roquettes aux trajectoires aléatoires, une menace permanente pour le territoire de l’État hébreu, où 12 personnes ont perdu la vie.

« La population civile israélienne a été éprouvée et mise à rude épreuve par une quantité record de roquettes tirées par le Hamas et les autres mouvements palestiniens, poursuit Gallagher Fenwick. Selon l’armée israélienne, plus de 4 000 projectiles ont été lancés, notamment en direction des villes du Sud, où les abris ont été ouverts quasiment 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7 ».

Netanyahu « ne peut pas faire complètement disparaître » le Hamas

Le Hamas a surtout démontré que dans ce genre de conflit asymétrique, malgré la supériorité aérienne, militaire et technologique de l’armée israélienne, aucune victoire n’est possible pour Israël sans incursion terrestre.

« Évidemment, les dommages causés par les bombardements israéliens sont énormes et il faudra du temps au Hamas pour reconstituer son arsenal et ses forces, mais il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de responsables du mouvement sont toujours là, alors qu’il y a eu de nombreux assassinats ciblés contre ses dirigeants, souligne Agnès Levallois. Cela prouve que Benjamin Netanyahu ne peut pas faire complétement disparaître tous ses membres et toutes ses infrastructures. »

De son côté, le Hamas n’a jamais envisagé, du moins publiquement, de basculer vers un processus de négociation politique avec l’État hébreu. Et ce, malgré le coût humain et matériel payé par l’enclave palestinienne lors des confrontations entre le mouvement islamiste et l’armée israélienne. Depuis le 10 mai, 243 Palestiniens, dont 66 enfants, ont été tués par des frappes israéliennes sur la bande de Gaza.

« Si on s’en tient à son discours officiel, le coût humain et matériel ne fait pas partie des considérations premières du Hamas, qui a promis, après l’annonce du cessez-le-feu, de financer la reconstruction des immeubles détruits et endommagés par les bombardements », conclut Beligh Nabli.

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