Rattrapé par le conflit israélo-palestinien, le président américain Joe Biden fait face à des critiques émanant de l’aile progressiste du Parti démocrate, qui l’appelle à revoir la politique de l’appui traditionnel des États-Unis à l’État hébreu, et à prendre en considération la cause palestinienne. Décryptage avec Ziad Majed, professeur à l’université américaine de Paris et spécialiste du Moyen-Orient.
Depuis son entrée à la Maison Blanche, Joe Biden s’attendait à ce que l’aile gauche du Parti démocrate, incarnée par son rival de la primaire Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, la très populaire élue de New-York, le pousse vers une voie progressiste sur un grand nombre de dossiers internes.
Mais le président des États-Unis ne s’attendait peut-être pas à être mis sous pression en ce qui concerne la question palestinienne. De retour au premier plan en raison des violences en cours, depuis le 10 mai, entre l’armée israélienne et le Hamas, le dossier était cantonné depuis plusieurs années aux oubliettes de la diplomatie américaine et internationale.
Alors que les hostilités entrent dans leur deuxième semaine, plusieurs figures démocrates, dont la représentante Rashida Tlaib, d’origine palestinienne, pressent depuis plusieurs jours la présidence américaine de prendre ses responsabilités. Et rappellent à Joe Biden qu’il entendait incarner une rupture avec l’ère Donald Trump, en axant sa diplomatie sur les droits de l’Homme.
« De plus en plus de voix s’élèvent dans le camp démocrate, et ce phénomène est nouveau, pour exiger un engagement américain en faveur des droits humains et pour demander à Joe Biden de mettre un terme à la politique de soutien inconditionnel à Israël, qui fait fi des droits des Palestiniens et de la situation à Gaza », indique Ziad Majed, professeur à l’université américaine de Paris et spécialiste du Moyen-Orient, interrogé par France 24.
Malgré l’envoi d’un émissaire et des entretiens avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, Joe Biden s’est notamment attiré des critiques au sein de son propre camp après avoir rappelé la semaine dernière qu’Israël avait le droit de « se défendre ».
Selon plusieurs diplomates interrogés par l’AFP, les États-Unis continuaient dimanche à refuser toute déclaration conjointe, dans le cadre de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, permettant d’aboutir rapidement à un arrêt des hostilités.
« Il prend parti pour un camp – celui de l’occupation »
La semaine dernière, Alexandria Ocasio-Cortez a ouvertement critiqué sur Twitter la timidité des déclarations de Joe Biden alors que l’escalade des violences se poursuivait sur le terrain. « Des déclarations générales comme celles-ci, avec peu de contexte ou de reconnaissance de ce qui a provoqué ce cycle de violence – à savoir les expulsions de Palestiniens et les attaques contre [la mosquée] Al-Aqsa –, déshumanisent les Palestiniens et laissent entendre que les États-Unis fermeront les yeux sur les violations des droits de l’Homme. C’est mauvais », a-t-elle écrit.
Et d’ajouter : « En n’intervenant que pour parler des actions du Hamas – qui sont condamnables – et en refusant de reconnaître les droits des Palestiniens, Biden renforce l’idée fausse que les Palestiniens sont à l’origine de ce cycle de violence. Ce n’est pas un langage neutre. Il prend parti pour un camp – celui de l’occupation. »
By only stepping in to name Hamas’ actions – which are condemnable – & refusing to acknowledge the rights of Palestinians, Biden reinforces the false idea that Palestinians instigated this cycle of violence.
This is not neutral language. It takes a side – the side of occupation.
— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) May 12, 2021
« Personne ne conteste qu’Israël, ou tout autre gouvernement, a le droit de se défendre ou de protéger son peuple », a lancé de son côté le sénateur Bernie Sanders dans une tribune publiée vendredi par le New York Times. « Alors pourquoi ces mots sont-ils répétés année après année, guerre après guerre ? Et pourquoi cette question n’est-elle presque jamais posée : ‘Quels sont les droits du peuple palestinien ?’ »
Si une majorité de démocrates restent fidèles à la position traditionnelle de leur parti à l’égard d’Israël, le principal allié des États-Unis au Moyen-Orient, l’aile gauche laisse désormais clairement entendre qu’il est peut-être temps de la réviser. « Au Moyen-Orient, où nous fournissons près de 4 milliards de dollars par an d’aide à Israël, nous ne pouvons plus faire l’apologie du gouvernement de droite de Netanyahu et de son comportement antidémocratique et raciste », écrit Bernie Sanders.
Le 12 mai, 25 élus démocrates de la Chambre des représentants, dont Alexandria Ocasio-Cortez, ont demandé au secrétaire d’État Antony Blinken d’exercer une pression sur l’État hébreu pour empêcher l’expulsion de près de 2 000 Palestiniens de Jérusalem-Est. « Nous devons défendre les droits de l’Homme partout », a tweeté l’une des signataires, Marie Newman.
Ziad Majed précise que « l’aile gauche du Parti démocrate et la nouvelle génération d’élus, mais aussi de chercheurs et de journalistes, ont réalisé que la diplomatie américaine vis-à-vis de la question palestinienne a permis aux gouvernements successifs de Benjamin Netanyahu de maintenir une politique d’occupation et de colonisation qui a contribué à bloquer le processus de paix et à entretenir les tensions ».
Selon lui, il est devenu naturel aux yeux des progressistes du Parti démocrate, des intellectuels du même bord, et de certains militants américains pour les droits civils et pour l’émancipation des Afro-Américains « qu’il y ait des affinités et des synergies entre la cause palestinienne et tous ceux qui se considèrent opprimés », et donc de s’intéresser de près à ce dossier.
Maintenir l’équilibre au sein du camp démocrate
Au milieu des critiques, l’administration Biden tente de maintenir des équilibres entre l’aile gauche et l’aile traditionnelle des démocrates, tout en cherchant à éviter d’ouvrir un nouveau front avec le camp républicain aligné sur des positions pro-israéliennes, estime Ziad Majed. « La Maison Blanche, qui ne veut pas se faire dicter son agenda, essaie de ne pas rompre avec la politique américaine en vigueur dans la région, ce qui explique les hésitations et la prudence de Joe Biden sur le dossier israélo-palestinien », souligne-t-il.
La question palestinienne « n’était pas du tout une priorité de cette nouvelle administration, qui cherche surtout à se concentrer en priorité sur la politique interne et, en ce qui concerne le Moyen-Orient, essentiellement sur le dossier du nucléaire iranien, poursuit-il. Sauf que les violences en cours ont imposé la question palestinienne à l’agenda américain, et Joe Biden doit trouver une nouvelle approche et se montrer plus fiable et crédible sur ce dossier que Donald Trump. »
Le président américain s’est déjà démarqué de son prédécesseur en multipliant ces derniers mois les messages pour rétablir le contact avec les Palestiniens, rompu sous l’ère Trump, et en affichant sa volonté de renouer avec la solution à deux États pour régler le conflit israélo-palestinien. Le 7 avril, Washington avait notamment annoncé la reprise du financement américain de l’UNRWA, une agence onusienne pour les réfugiés palestiniens.
Toutefois, Ziad Majed estime que l’effet des voix dissonantes au sein du camp démocrate ne se verront pas à court terme, et les résultats prendront du temps à peser sur la politique de Washington.
« Joe Biden veut éviter de faire des promesses aventureuses sur le Proche-Orient qu’il ne peut pas tenir, à l’image d’un Barack Obama qui avait échoué à faire plier Benjamin Netanyahu sur la question des colonies et à relancer le processus de paix, conclut-il. Mais même s’il ne faut pas s’attendre à un changement radical de stratégie à l’égard d’Israël, le président américain a aujourd’hui l’occasion de marquer les esprits sur ce dossier en suivant l’évolution en cours au sein de son propre camp. »
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