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
Dans la petite épicerie de Moncef Zmerli, 54 ans, un carton ouvert trône près du comptoir. Sur un écriteau, on peut y lire : « Panier du ramadan. » Du lait, des pâtes et du sucre s’y entassent. « Je me suis rendu compte que beaucoup de gens dans le voisinage n’arrivaient plus à faire leurs courses faute d’argent, mais qu’ils n’osaient pas demander d’assistance. Je me suis dit qu’en proposant aux clients de faire des dons pour remplir au fur et à mesure le carton, c’était une manière de les aider », explique l’ancien imam devenu épicier dans la banlieue de l’Ariana, au nord de Tunis.
Depuis le début du mois saint, il a pu réunir ainsi seize paniers d’une valeur de 80 dinars (24 euros) chacun. Une initiative bienvenue alors que le pays s’apprête à célébrer l’Aïd el-Fitr, le jour qui marque la rupture du jeûne.
Vécu traditionnellement comme une période de fête, le ramadan a jeté cette année une lumière cruelle sur les difficultés économiques que rencontrent nombre de Tunisiens. Le pouvoir d’achat s’est nettement contracté dans le pays. En un an, les prix de l’alimentation ont augmenté de 4,9 % pour le lait, les huiles et les légumes. Les services tels que la santé ont bondi de 8,8 %, le transport de 2,1 %, selon l’Institut national de la statistique.
La situation n’était déjà pas brillante avant la pandémie, mais les restrictions sanitaires ont aggravé les choses. La troisième vague, la plus meurtrière qu’ait connue la Tunisie jusqu’à présent, fait jusqu’à 100 morts par jour et « le système de santé risque de s’écrouler », selon les mots du premier ministre Hichem Mechichi. Pour freiner les contaminations, le gouvernement a annoncé un nouveau confinement d’une semaine pendant la période de l’Aïd el-Fitr, afin d’éviter les rassemblements familiaux.
Braver le confinement
La plupart des restrictions seront levée le lundi 17 mai, mais les fractures sont trop profondes pour espérer une amélioration à court terme. « J’ai dû donner par exemple deux paniers à des anciens serveurs ou gérants de cafés. Ils n’ont plus de travail depuis un bout de temps, alors qu’ils n’étaient pas dans le besoin avant », souligne Moncef Zmerli qui a vu les ardoises de crédit de certains clients s’allonger ces derniers temps.

A l’Ariana, certains bravent le confinement pour se rendre au marché local. Malgré l’interdiction et les contrôles de police réguliers, il est ouvert. « Si on ne travaille pas, on ne mange pas. Personne n’est là pour nous aider à payer l’électricité, l’eau ou le loyer. Donc nous n’avons pas le choix », précise Fathi, 56 ans.
Vendeur de légumes en temps normal, il a dressé ce jour-là un petit étal sur lesquels sont exposés les jouets de l’Aïd. Un client lui demande un prix pour un cube casse-tête, mais se rétracte en entendant la réponse. « C’est comme ça depuis hier, se désole le commerçant. Les gens achètent peu, seulement du bas de gamme à 6 ou 7 dinars [quelque 2 euros]. On sent la souffrance. »
A Hay Etthadamen, quartier dense et populaire de la capitale, une femme qui refuse de donner son identité par peur de se faire repérer par la police est sortie dans la rue pour vendre quelques vêtements pour enfants et accessoires de beauté. A 26 ans, mère d’une petite fille, elle a besoin d’un petit son pécule pour acheter des couches et du lait.
« La détérioration des services publics »
« Mon mari est chauffeur. Il gagne 500 dinars [environ 150 euros] par mois et son salaire passe dans les charges du foyer. Je dois faire très attention, il n’y a aucune marge pour acheter quelque chose en plus », explique-t-elle.
Pour venir en aide au plus démunis, le ministère des affaires sociales a annoncé pour 2021 une aide de 60 euros pour les employés des cafés, restaurants et du secteur du tourisme. Un montant similaire à celui décidé en 2020 pour les plus démunis et ceux ne travaillant pas dans le secteur public, mais qui est loin de suffire.
Le salaire minimum tunisien s’élève à 419 dinars par mois (127,50 euros). Or, d’après une enquête de l’ONG International Alert publiée en mars avec l’Institut de recherches économiques et sociales en France et la fondation allemande Friedrich Erbert, il faudrait un budget de 2 400 dinars (730 euros), soit six fois le salaire minimum aujourd’hui, pour vivre dignement en Tunisie dix ans après la révolution.
Près de 40 à 50 % de personnes dans le grand Tunis vivent avec moins que cela, selon le rapport. « Ce décalage donne à voir le résultat des politiques d’austérité dans le pays, mais aussi la détérioration des services publics. Aujourd’hui, un ménage, pour vivre dignement, doit recourir à des services privés pour la santé ou le transport par exemple », explique Olfa Lamloum, une chercheuse qui a participé à l’étude.
Le gouvernement, qui peine à boucler son budget 2021 est en pleine négociation avec le FMI pour obtenir un prêt de 4 milliards de dollars. D’après les premières discussions, l’une des principales mesures du plan du gouvernement pourrait être de remplacer les subventions pour les produits de première nécessité – comme la farine, le lait, l’huile végétale, le sucre, les tomates en conserve – par des aides directes aux familles. Une mesure qui pourrait avoir des conséquences sociales désastreuses sur le court terme, beaucoup de Tunisiens achetant ces produits.
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