Alors qu’Israël et le Hamas se dirigent vers une « guerre à grande échelle », selon l’ONU, le mouvement islamiste palestinien aux commandes de la bande de Gaza semble avoir fait le pari de la confrontation avec l’État hébreu, et ce au nom de la défense de Jérusalem. Une position non dénuée de calculs politiques. Décryptage.
Le bilan des affrontements entre l’État hébreu et le Hamas s’est sérieusement alourdi, mercredi 12 mai, alors que l’armée israélienne a mené des centaines de frappes aériennes dans la bande de Gaza en réponse aux centaines de roquettes tirées par le mouvement palestinien sur le centre et le sud du pays. Un degré de violences inégalé depuis la guerre de Gaza de 2014.
Les derniers développements et déclarations ne semblent pas indiquer que l’on se dirige de part et d’autre vers une accalmie.
« Si Israël veut une escalade, la résistance est prête, et s’ils veulent s’arrêter, nous sommes prêts aussi à nous arrêter, s’ils veulent retirer leur main de Jérusalem, nous sommes prêts aussi », a prévenu Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, mardi soir, dans une allocution télévisée.
De son côté, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a déclaré que les opérations militaires se poursuivraient dans la bande de Gaza aussi longtemps que nécessaire. « Israël ne se prépare pas à un cessez-le-feu, et il n’y a actuellement aucune date de fin pour l’opération, a-t-il indiqué, mercredi. Ce n’est que lorsque nous aurons obtenu un calme complet que nous pourrons parler de retour à la normale ».
Rien à perdre
Selon plusieurs médias locaux, l’armée israélienne ne s’attendait pourtant pas à une telle escalade avec le mouvement islamiste palestinien, aux commandes de l’enclave, sous blocus, depuis 2007. Depuis le 7 mai, les heurts s’étaient multipliés à Jérusalem-Est, secteur palestinien occupé et annexé par Israël, et plus particulièrement sur l’esplanade des Mosquées.
Le 5 mai, dans une rare déclaration publique de sa part, Mohammed Deif, le chef de la branche militaire du Hamas, avait averti que l’État hébreu « paierait le prix fort » si les expulsions de familles palestiniennes du quartier Cheikh Jarrah devaient avoir lieu au profit de colons juifs à Jérusalem-Est.
« C’est notre dernier avertissement : si l’agression contre les nôtres, à Cheikh Jarrah, ne cesse pas immédiatement, nous ne resterons pas à ne rien faire », avait-il prévenu, laissant entendre que le Hamas ne pouvait pas se permettre de rester en retrait des évènements en cours à Jérusalem.
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« Jusqu’à lundi, les responsables de la défense pensaient que le Hamas n’avait pas l’intention d’entamer une nouvelle série de combats avec Israël », révèle le quotidien Haaretz. Contrairement aux services de renseignement, des cadres de l’armée israélienne semblaient, selon la même source, également convaincus que le Hamas ne provoquerait pas d’escalade pendant le mois du ramadan, qui se termine jeudi.
Ces responsables militaires israéliens ont apparemment sous-estimé la symbolique, aux yeux du Hamas, de l’esplanade des Mosquées, également lieu le plus sacré du judaïsme et désigné sous le nom de mont du Temple, où se trouve la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam.
Le mouvement islamiste palestinien, qui n’a rien à perdre en l’absence d’incursion militaire israélienne, s’est donc invité avec fracas dans la bataille de Jérusalem et n’a pas laissé passer l’occasion de revenir sur le devant de la scène du conflit israélo-palestinien, relégué depuis plusieurs années au second plan des priorités de la communauté internationale.
Exister politiquement
« Le Hamas, qui cherche à exister sur le plan politique aussi bien par rapport à la population palestinienne que sur la scène internationale, joue la carte de l’organisation qui est capable de résister à Israël », explique Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo), à France 24. « Une carte qui lui permet aussi de se présenter comme le sauveur de Jérusalem, secouée par des heurts liés aux menaces d’expulsions de familles palestiniennes dans une sorte de nouvel épisode de dépossessions par la colonisation israélienne ».
La déflagration entre Israël et le mouvement islamiste palestinien, soutenu par les Gardiens de la révolution iraniens, et qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’UE, intervient dans un contexte politique perturbé, à la fois dans les Territoires palestiniens et du côté de l’État hébreu.
« Le Hamas se met en avant en profitant d’une situation de vide politique dans l’espace palestinien, dans un contexte d’effondrement complet de l’Autorité palestinienne, souligne Jean-Paul Chagnollaud. Le président Mahmoud Abbas qui est, depuis un bon moment, complètement carbonisé politiquement, a laissé toute la place au Hamas pour occuper l’espace à sa façon, en s’infligeant lui-même un coup de grâce avec l’annulation des élections qui devaient avoir lieu bientôt et qu’il avait peur de perdre ».
Fin avril, le président de l’Autorité palestinienne, affaibli par une fronde dans son propre camp, avait annoncé le report des premières élections en quinze ans dans les Territoires palestiniens. Elles avaient été annoncées début janvier dans le cadre d’un projet de « réconciliation » entre le parti laïc Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas.
Selon Gwendoline Debono, correspondante de France 24 à Jérusalem, cette annonce, qualifiée alors de coup d’État par le Hamas, a provoqué une immense déception au sein de la population palestinienne. « Le Hamas a senti la frustration d’une partie des Palestiniens qui s’apprêtaient avec enthousiasme à voter pour la première fois de leur vie, explique-t-elle. Le mouvement islamiste s’est engouffré dans la brèche, alors que les Palestiniens se sentent orphelins de leadership, en s’investissant dans le dossier de Jérusalem ».
Par ailleurs, le Hamas n’ignore pas que du côté israélien, le pays traverse une période de transition avec un leadership lui aussi vacillant. « Dans un contexte d’escalade, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a lui aussi, comme le Hamas, l’occasion de reprendre pied sur le théâtre politique qui commençait à lui être défavorable après avoir été incapable de former un nouveau gouvernement », constate Jean-Paul Chagnollaud, auteur du livre « Israël/Palestine, la défaite du vainqueur » (Éd. Actes Sud).
« Le champion de la résistance »
Selon lui, le Hamas, qui a perdu plusieurs cadres dans les frappes israéliennes, ne sait pas jusqu’où ira la puissance de feu israélienne, « mais il est certain qu’il cherchera, à l’issue de cet épisode, à se présenter sur la scène palestinienne comme le champion de la résistance, un peu comme le Hezbollah au Liban, à l’issue du conflit qui l’avait opposé à Israël en 2006 ».
En tirant plus de 1 000 roquettes depuis qu’il a décidé d’entrer dans la bataille, le Hamas a marqué les esprits et montré qu’il gardait, malgré le blocus, des capacités militaires qui lui permettent de frapper le territoire israélien, et ce en dépit de l’efficacité du « Dôme de Fer », le bouclier antimissile israélien.
« La force de frappe dévoilée depuis quelques jours par le Hamas démontre que le mouvement s’est préparé pour un épisode tel que celui auquel nous assistons aujourd’hui. Et qu’il reste déterminé à lutter contre les Israéliens d’autant plus qu’il entretient une certaine incapacité à envisager de basculer vers un processus de négociation politique », note Jean-Paul Chagnollaud.
« Face à un gouvernement israélien d’extrême droite, le Hamas a des chances d’enregistrer des gains politiques incontestables et de renforcer son image d’acteur du conflit, conclut-il. Mais ces escalades militaires aboutissent toujours au même scénario vu le rapport de force, c’est-à-dire à des morts, à des violences et à une impasse tragique ».
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