Le Botswana et le Zimbabwe ont annoncé la vente de plusieurs centaines de permis de chasse pour permettre aux touristes de revenir tuer des éléphants dès l’ouverture des frontières. Selon les autorités de ces pays, les pachydermes seraient trop nombreux dans certaines régions, et la chasse aux trophées permettrait de « réguler » leur nombre. Un argument peu convaincant, voire dangereux, selon les informations réunies par 30millionsdamis.fr.
Une « tromperie » ? Les autorités du Zimbabwe ont récemment annoncé la vente de permis de chasse pour tuer 500 éléphants (22/04/2021), suivant le triste exemple du Botswana voisin qui avait décidé de délivrer des permis de tuer 287 éléphants d’ici la fin de la saison de chasse. Si la principale justification invoquée est d’ordre pécuniaire – les permis de chasse devraient rapporter 70.000 dollars (environ 60.000 euros) par « tête », soit jusqu’à 30 millions d’euros au total – l’argument de la « régulation » est également mis en avant pour légitimer la prétendue « nécessité » d’abattre des animaux qui, bien que menacés du point de vue de l’espèce – l’éléphant de savane d’Afrique est en effet classé « en danger d’extinction » sur la Liste Rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) –, seraient en surnombre localement selon les autorités.
« Trop d’éléphants », vraiment ?
La chasse aux trophées n’est jamais une solution.
Victoria Lockwood, Born Free
Si le déclin des éléphants est avéré, la répartition des pachydermes sur continent africain serait toutefois inégale, entre des zones où l’espèce a disparu et d’autres où les individus seraient davantage concentrés. « On estime que le nombre d’éléphants a chuté d’environ 90 % à travers l’Afrique au cours du siècle dernier, explique Victoria Lockwood, représentante de l’ONG britannique Born Free, contactée par 30millionsdamis.fr. La « surpopulation » est un terme qui est généralement appliqué lorsque les éléphants sont confinés dans des zones restreintes et qu’ils se trouvent empêchés d’utiliser leurs itinéraires de migration et leurs habitats historiques, à cause du développement humain, de la conversion des terres pour l’agriculture, etc. » Les champs, les villes ou encore les clôtures érigées à perte de vue, constituent des barrières souvent infranchissables pour les animaux, qui se retrouvent alors piégés en certains lieux.
« La chasse aux trophées n’est jamais une solution. Cela ne résout pas le problème, lié au fait que les éléphants sont désormais confinés », poursuit la porte-parole de Born Free. « Lorsque les habitants (…) décrètent qu’il y a plus d’éléphants dans leur environnement local que les individus et la société ne le souhaitent ou n’acceptent de le tolérer, ils réagissent en général par des demandes de programmes d’abattage sélectif pour réduire le nombre d’animaux », souligne pour sa part le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) dans son rapport « Les éléphants et l’ivoire ». Or, « les programmes d’abattage sélectifs sont presque partout dans le monde décidés sans objectif précis (…), sans évaluation scientifique appropriée et sans réflexion sérieuse sur toute autre solution qui permettrait d’atteindre réellement les objectifs supposés », déplore l’ONG.
L’abattage, inefficace, voire dangereux ?
Quand bien même les pachydermes seraient jugés « trop nombreux » dans une région donnée, rien ne prouverait l’efficacité de l’abattage de quelques centaines d’individus : « même si ce nombre d’éléphants est tué, cela n’aura pas nécessairement un impact significatif au niveau de la population », précise Victoria Lockwood. Pire, la chasse entraînerait des conséquences désastreuses, à la fois sur les animaux visés et en termes de relations avec les humains. « Puisque les chasseurs ciblent des éléphants avec des traits particuliers – généralement de gros mâles plus âgés avec des défenses impressionnantes – la chasse élimine les individus clés de la population, faussant l’équilibre entre les sexes et entre les classes d’âge [voir l’étude de Shaffer et al., 2019], explique la représentante de Born Free. Ce qui peut entraîner une augmentation des conflits entre les humains et les éléphants, car cela perturbe la stabilité sociale des groupes d’éléphants survivants. »
La chasse aux trophées peut constituer un événement hautement traumatisant pour les éléphants, dont les effets se manifesteraient chez ces animaux par des symptômes évoquant ceux du « syndrome de stress post-traumatique » chez les humains… avec un impact pouvant même s’étendre jusqu’aux générations suivantes, par apprentissage entre les membres de la communauté. « Il est presque certain que les survivants, témoins de l’abattage absurde des membres de leur famille, se vengeront plus tard sur de malheureux villageois locaux », avertit Simiso Mlevu, porte-parole du Centre pour la gestion des ressources naturelles (CNRG), une ONG de défense de l’environnement basée au Zimbabwe, citée par CNN (22/04/2021).
Déplacement d’éléphants : artificiel vs. naturel
La suppression des clôtures permet aux éléphants de se déplacer plus naturellement et de réduire ainsi les densités locales.
IFAW
L’abattage n’est pas toujours la « solution » privilégiée par les gestionnaires pour « réguler » les populations animales. Ainsi, chaque année, plusieurs centaines d’éléphants sont transportés de régions densément peuplées vers des zones d’où ils avaient disparu, le plus souvent au sein d’un même pays. Ainsi, en 2017, le Malawi se targuait d’avoir organisé la plus grande « translocation » d’éléphants réalisée jusqu’alors, transférant quelque 520 pachydermes d’une réserve naturelle à une autre. « Les translocations peuvent aider à repeupler les zones d’où les éléphants ont disparu, à condition, bien sûr, que les raisons initiales de la disparition aient été traitées, reconnaît la représentante de Born Free. Mais elles doivent être gérées avec une extrême prudence pour éviter de diviser les groupes familiaux et de perturber davantage la structure sociale des éléphants. »
La translocation, bien que « préférable à l’abattage », ne serait donc pas une « solution idéale » : « la création de corridors pour permettre des déplacements et des migrations en toute sécurité entre les zones protégées serait de loin préférable », prône Victoria Lockwood. « En Afrique australe, il semble que le « problème d’éléphants » ait été résolu par la suppression des clôtures et des trous artificiels d’approvisionnement en eau, afin de permettre aux éléphants l’accès aux couloirs de migration dans plusieurs régions, confirme l’ONG IFAW. De telles actions permettent aux éléphants de se mouvoir plus naturellement et de réduire ainsi les densités locales, ce qui permet un processus naturel de limitation de leur nombre et, de fait, de leurs impacts réels ou supposés sur l’environnement et la biodiversité. »
Sensibiliser les habitants à l’importance des éléphants
Permettre aux éléphants de se déplacer en toute sécurité entre leurs habitats naturels : cette solution, bien que séduisante, sera-t-elle toutefois suffisante pour assurer une coexistence pacifique avec les membres de notre espèce ? « En ce qui concerne la réduction des conflits [avec les humains], il existe une multitude de méthodes disponibles, et il s’agit d’explorer ce qui fonctionne dans une situation donnée, souligne la représentante de Born Free. Mais s’il n’y a pas de contexte favorable (physiquement et socialement) à la coexistence, aucune de ces solutions ne réussira à long terme. » Seule une sensibilisation des populations locales au rôle écologique des éléphants dans les écosystèmes – ainsi qu’aux bénéfices que leur présence peut apporter aux communautés, à travers le tourisme pour les « safaris photo » par exemple – serait susceptible de favoriser leur acceptation par les sociétés humaines.
De telles opérations de sensibilisation ont commencé à voir le jour, à l’instar de l’initiative internationale « Rebalance Earth ». Le principe : aider les communautés à prendre conscience de la valeur du maintien des éléphants dans leurs habitats naturels, à travers l’approche des « services écosystémiques » selon laquelle les écosystèmes fournissent à l’humanité des biens et des « services » (pollinisation, purification de l’eau…) indispensables à leur bien-être. En l’occurrence, les pachydermes ont un rôle essentiel en participant à la séquestration du carbone par les plantes dont ils favorisent la pousse, luttant ainsi contre les changements climatiques, selon le Fonds Monétaire International (FMI, 2020). « La recherche qui sous-tend ce programme concerne les éléphants de forêt, mais il n’y a aucune raison pour qu’elle ne s’applique pas également aux éléphants de savane comme ceux du Zimbabwe », estime Victoria Lockwood.
La science pour éclairer la prise de décisions
Lever les obstacles à la migration naturelle des éléphants, organiser des translocations entre régions, sensibiliser les communautés humaines… Comment choisir les méthodes les plus appropriées en fonction du contexte ? « Améliorer à la fois la situation des éléphants et des hommes est une entreprise complexe. Tout en reconnaissant l’existence de ces réalités sociales, politiques et économiques, nous pensons que la science a beaucoup à apporter aux débats sur les conflits avec les éléphants, conclut IFAW dans son rapport. Il est essentiel que nous acceptions d’intégrer des éléments scientifiques basés sur des preuves aux décisions politiques et de gestion, plutôt que de s’obstiner à utiliser de mauvaises méthodes (comme l’abattage) et à se baser sur des expériences qui ont échoué pour guider nos actions. » Un conseil à méditer !
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