Jamais ils n’auraient cru voir ça de leur vie. Ce mardi 4 mai, les cris de joie sont à la hauteur de l’événement. « Aujourd’hui et pour quelques heures, le lycée moderne d’Abobo est le cœur du monde ! », lance Mariam Dao Gabala devant une foule d’élèves surexcités. La présidente du comité de normalisation de la Fédération ivoirienne de football (FIF) est accompagnée de sommités mondiales du ballon rond, Gianni Infantino et Patrice Motsepe, respectivement patron de la Fédération internationale (FIFA) et de la Confédération africaine de football (CAF), mais aussi de la star Didier Drogba.
Tous sont venus présenter le tournoi panafricain interscolaire qui débute ce mois-ci dans plusieurs pays du continent. Une cérémonie encore impensable il y a peu pour cette commune populaire du nord d’Abidjan plus habituée aux superlatifs négatifs ! C’est la plus densément peuplée (environ 1,5 million d’habitants), mais aussi la plus pauvre et la plus dangereuse de la capitale économique ivoirienne. Dix ans après la crise post-électorale de 2010-2011, qui a opposé le camp de l’actuel président, Alassane Ouattara, à celui de son prédécesseur, Laurent Gbagbo, les autorités, mais aussi les artistes, les entrepreneurs et le monde associatif s’échinent à dédiaboliser une zone qui a payé un lourd tribut au conflit.
Symboles de cette volonté de renaissance, les fresques colorées de l’artiste Obou accompagnent le visiteur, de même que les nouveaux slogans de la ville peints sur ses murs – « Abobo ê zo » (Abobo est belle), « Abobo la joie » –, pour faire oublier les étiquettes du passé. Car des surnoms, la commune en a connu. En 1976, le tube Gbaka, de Daouda le Sentimental, chante les deux communes pauvres d’Abidjan : « Abobo-la-guerre, Yopougon-la-bagarre. » Aux affrontements entre groupes rivaux, dans les années 1990, succède la partition du pays, dans les années 2000. Puis, lorsque la crise post-électorale éclate, Abobo devient « Abobo-Bagdad », un terrain de guerre entre le « commando invisible » dirigé par le rebelle IB, favorable à Ouattara, et l’armée loyaliste, pro-Gbagbo. Les affrontements font des centaines de victimes.
Un stade flambant neuf, un musée, bientôt un métro…
Cherif Camara a grandi là. Avec son association Les Enfants d’Abobo, créée en avril 2020, l’entrepreneur de 26 ans apporte un soutien social et humanitaire aux familles les plus démunies. Sur sa page Facebook, suivie par près de 140 000 personnes, il met beaucoup d’énergie à valoriser les transformations de la commune. « On se croirait à Cocody [une commune huppée d’Abidjan], c’est vraiment une belle cité », lance-t-il dans vidéo diffusée en direct depuis le quartier PK 18. Ici, des logements modernes sont en construction, aux côtés de petites villas. Une attractivité nouvelle tirée par le stade olympique d’Ebimpé (60 000 places), inauguré en 2020, et le projet de ligne de métro qui devrait voir le jour dans quelques années.
Plus au centre de la commune, on trouve depuis mars 2020 le Musée des cultures contemporaines Adama-Toungara (MuCAT). Un pari osé. « On veut amener la culture aux populations défavorisées, enlever le stéréotype selon lequel l’art c’est pour les nantis. Quand une vendeuse ou une ménagère entre, on se dit qu’on a atteint l’objectif », soutient Jean-Michel Gnaga, guide du musée. Dans les deux salles principales sont exposées les œuvres d’artistes ivoiriens ou passés par Abidjan de 1957 à aujourd’hui. Sur les 200 visiteurs quotidiens, surtout des élèves, 60 % viennent d’Abobo, le reste d’autres communes d’Abidjan. Signe que la cité devient plus accessible et donc un peu plus fréquentable.
C’est le résultat d’une volonté politique. Fin 2017, l’Etat a fait du développement de la commune une de ses priorités en débloquant près de 200 milliards de francs CFA (près de 300 millions d’euros) dans le cadre du « plan ADO », les initiales du président. On est là dans un bastion du pouvoir actuel. Sur les marchés, les vendeuses ouvrent leurs parasols jaunes ou bleus distribués lors de la dernière élection présidentielle et marqués du sigle « Adoland ».
La commune a été dirigée par l’un des plus fidèles lieutenants du chef de l’Etat, Hamed Bakayoko, décédé le 10 mars. En octobre 2018, celui qu’on surnommait « Hambak » avait succédé à Adama Toungara à la mairie d’Abobo et accéléré les grands travaux. Le long des artères principales, la voirie a été rénovée, les axes routiers agrandis et certains lieux anarchiques évacués de leurs occupants. A Sogefiha, quartier de la classe moyenne d’Abobo, le décor est celui de petites villas de fonctionnaires, loin des habituels logements de fortune. « Hamed Bakayoko y avait sa villa, il venait prier à la mosquée chaque vendredi et distribuer des billets à la population », explique Lamine, un habitant, le sourire en coin.
Une commune réputée pour ses gangs de « microbes »
L’éclairage public a été installé dans les quartiers les plus précaires, pour faire baisser la criminalité. Car Abobo est réputée pour ses gangs de « microbes », ces enfants des rues qui dépouillent les passants sous la menace de machettes. L’Etat a œuvré pour leur réinsertion, avec un succès très mitigé, reconnaît l’ONG Indigo, qui a participé au processus. « Sous l’influence d’Hambak, certains microbes se sont reconvertis certes, mais dans d’autres réseaux criminels. Ils sont devenus dealers de drogue ou bras armé d’hommes politiques », souligne un chercheur qui souhaite rester anonyme.
Depuis le décès de celui qui était aussi premier ministre et ministre de la défense, les vols et les violences ont d’ailleurs repris. « Ils ne sont plus encadrés », pointe Charlemagne Bleu, le porte-parole de la police ivoirienne : « La ville a besoin d’une vraie autorité pour qu’ils soient repris en main. »
Une délinquance liée à la précarité qui demeure dans la plupart des sous-quartiers d’Abobo. Cité dortoir, la commune s’est structurée autour de la gare ferroviaire de l’axe Abidjan-Ouagadougou, où s’installèrent dans les années 1970 les habitants du nord ivoirien et du Burkina Faso. Abobo reste encore aujourd’hui la porte d’entrée nord d’Abidjan, mais aussi sa « zone de relégation, le lieu des déguerpis des autres communes », souligne Gilbert Yassi, géographe à l’Ecole normale supérieure d’Abidjan.
Malgré les grands travaux, l’optimisme affiché et une image légèrement dépoussiérée, le chemin est encore long. « Quand vous sortez des grandes artères, quand vous grattez le vernis, la réalité d’Abobo reste. Il y a eu des efforts, mais structurellement, ça n’a pas beaucoup changé », note notre chercheur. Les Abobolais, pour beaucoup au chômage ou dans l’informel, attendent avec impatience le nom du nouvel édile, dans l’espoir qu’il ou elle poursuive les travaux engagés et apporte plus d’opportunités d’emploi : « des centres commerciaux et une grande zone industrielle, comme à Yopougon », plaide Alassane, un ami de Lamine.
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