L’Irlande du Nord fête ses 100 ans lundi, dans un climat de tensions jamais vu depuis la signature de l’accord de paix de 1998. En cause : le Brexit, qui a instauré un contrôle des marchandises circulant entre la province et l’île de Grande-Bretagne.
À chaque fois que l’instabilité en Irlande du Nord fait l’actualité, les chroniqueurs politique britanniques se plaisent à citer un discours de Winston Churchill prononcé en 1922 : « La carte entière de l’Europe a été remodelée (…) mais alors que le déluge reflue et que les eaux se retirent, on voit de nouveau poindre les mornes clochers des comtés de Fermanagh et de Tyrone », deux comtés nord-irlandais.
Depuis que la République d’Irlande s’est affranchie de la domination britannique le 3 mai 1921, l’existence de l’Irlande du Nord, créée au même moment et rattachée à la Grande-Bretagne, s’est retrouvée au centre d’un bras de fer parfois sanglant entre les deux pays.
Et maintenant que la tempête provoquée par le Brexit se calme et alors que l’Irlande du Nord célèbre, lundi 3 mai, son centenaire, c’est la carte du Royaume-Uni qui a été modifiée. Depuis le 1er janvier, un contrôle des marchandises circulant entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne a été instauré, réveillant les craintes des unionistes de voir leur pays abandonné par la couronne britannique.
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De fait, le protocole nord-irlandais contenu dans l’accord du Brexit a remplacé la perspective d’un problème à la frontière entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande par un problème bien réel d’une frontière entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne.
Ce protocole maintient l’Irlande du Nord alignée sur un certain nombre de règles de l’Union européenne (UE) alors que la Grande-Bretagne peut s’en départir. Cela entraîne des vérifications et contrôles sur les marchandises circulant entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne et impose des droits de douane au cas où ces marchandises entreraient ensuite sur le marché unique européen via la République d’Irlande.
Lorsque le Premier ministre, Boris Johnson, est finalement parvenu, en octobre 2019, à un accord avec l’UE sur les termes du divorce entre Londres et Bruxelles, les pro-Brexit ont alors célébré avec soulagement la fin de trois longues années d’interminables négociations, en particulier sur la question de la frontière nord-irlandaise. Mais le Parti unioniste démocrate (DUP) a rapidement exprimé son indignation au sujet de l’instauration d’une frontière douanière en mer d’Irlande. « Le Brexit ne s’applique pas à l’ensemble du Royaume-Uni », avait alors déploré le vice-président du DUP, Nigel Dodds.
Démission de la Première ministre nord-irlandaise
Au sein de la classe politique britannique, rares sont ceux ayant anticipé que l’accord signé par Boris Johnson représenterait une menace aux yeux des unionistes nord-irlandais. L’ancien chef de cabinet du Premier ministre Tony Blair et artisan de l’accord du Vendredi saint de 1998, Jonathan Powell, fut l’un d’entre eux. « La frontière en mer d’Irlande est un vrai problème pour eux », écrit-il alors dans le Irish Times peu après l’accord obtenu par Boris Johnson. « Et cette question prendra de l’ampleur à mesure que le Royaume-Uni s’éloignera des régulations européennes et instaurera de nouveaux droits de douane, poursuit Jonathan Powell. Cette frontière menacera leur identité britannique. »
Les faits lui ont donné raison. L’entrée en vigueur des dispositions liées au Brexit, le 1er janvier 2021, provoqua de fortes perturbations dans la chaîne d’approvisionnement des supermarchés et la livraison des commandes en ligne. Puis des graffitis s’opposant aux contrôles douaniers furent peints, début février, dans des quartiers unionistes, tandis que les autorités décidaient la suspension temporaire des contrôles douaniers dans certains ports d’Irlande du Nord face au « comportement menaçant » de certains militants loyalistes.
Craignant que ces contrôles douaniers ne représentent une séparation trop profonde entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, le Loyalist Communities Council (LCC), qui regroupe des organisations paramilitaires loyalistes, s’est retiré de l’accord du Vendredi saint, tout en affirmant que toute opposition au protocole nord-irlandais devait être « pacifique et démocratique ».
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Mais de violentes émeutes dans les quartiers unionistes ont pourtant éclaté début avril. Le LCC a affirmé ne pas en être responsable, appelant au calme, mais a tout de même souligné qu’il y avait eu « un échec collectif spectaculaire pour bien prendre la mesure du niveau et de la nature de la colère des unionistes et des loyalistes » vis-à-vis du protocole.
Enfin, la Première ministre d’Irlande du Nord et leader du DUP, Arlene Foster, a été poussée à la démission, le 28 avril, par les membres de son parti qui lui reprochaient de ne pas avoir été assez ferme sur les droits de douane.
La situation semble désormais dans l’impasse et risque de mettre le DUP face à son impuissance. « Ça ne peut qu’engendrer des tensions sans fin, voir même un chaos imminent », juge Tim Bale, professeur en sciences politiques à l’Université Queen Mary de Londres.
Erreur d’appréciation du DUP
Le DUP est pourtant en partie responsable du protocole nord-irlandais. Le Parti unioniste s’est en effet prononcé en faveur du Brexit au moment du référendum de 2016. « Il n’a pas réfléchi aux conséquences d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE, notamment concernant la frontière irlandaise », rappelle Jon Tonge, spécialiste de la politique en Irlande du Nord et professeur à l’Université de Liverpool. « Le DUP s’attendait à une courte victoire des pro-UE et n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire lorsque les pro-Brexit l’ont emporté », ajoute-t-il.
Les élections générales de 2017 ont toutefois donné au DUP davantage d’influence et c’est le vote de ses dix députés qui a permis à Theresa May de se maintenir au pouvoir alors qu’elle avait perdu le soutien des conservateurs. Mais le Parti unioniste a refusé de soutenir le plan de sortie de Theresa May sous prétexte que celui-ci aurait obligé le Royaume-Uni à continuer d’accepter les réglementations de l’UE pour une période indéfinie.
« Le DUP a clairement mal évalué les tenants et les aboutissants du plan de Theresa May qui, avec son ‘backstop’ irlandais, permettait à l’Irlande du Nord d’être traitée de la même façon que le reste du Royaume-Uni en matière de douanes, souligne le spécialiste Tim Bale. Qui sait quelle solution magique ils espéraient avec un plan alternatif ? Mais faire confiance à Boris Johnson pour tenir parole et en trouver une défie la raison. »
Lors du congrès du DUP en 2018, Boris Johnson avait en effet affirmé qu’ »aucun gouvernement conservateur britannique ne pourrait ou ne devrait signer un accord » instaurant des contrôles douaniers en mer d’Irlande. C’est exactement ce qu’il fit un an plus tard.
Vers un référendum sur l’avenir de l’Irlande du Nord
Pire encore, le Brexit semble avoir entamé la popularité du DUP. Les sondages montrent que l’unionisme est toujours devant le nationalisme en Irlande du Nord, mais l’écart s’est resserré depuis le référendum de 2016.
La démographie, également, favorise les nationalistes catholiques depuis deux décennies. Toutefois, la religion n’est plus aussi déterminante qu’autrefois sur le plan politique. Le recensement britannique de 2011 a ainsi montré que 45 % des Nord-Irlandais disaient être issus d’une famille catholique, mais seulement 25 % se disaient exclusivement Irlandais.
Dans ce contexte, jusqu’au Brexit, l’unionisme semblait en capacité de résister face aux courbes démographiques. D’autant qu’après l’accord du Vendredi saint de 1998, une « proportion grandissante » de la population catholique se sentait « bien » au sein du Royaume-Uni, explique Katy Hayward, professeure de sociologie politique à la Queen’s University de Belfast.
Beaucoup de ces personnes « apprécient certains aspects du Royaume-Uni comme le système de santé », ajoute Jon Tonge. Bien qu’ils « ne voteront jamais pour des partis unionistes », beaucoup de ces Nord-Irlandais catholiques ont « tout doucement commencé à se considérer comme des unionistes avec un petit u » [le terme ‘unioniste’ en anglais s’écrit avec un u majuscule, NDLR], poursuit-il.
Alors que 56 % des Nord-Irlandais avaient voté en faveur du maintien dans l’Union européenne, le Brexit a rebattu les cartes, au point que l’idée d’un référendum sur l’avenir de l’Irlande du Nord est désormais dans tous les esprits.
L’accord du Vendredi saint prévoit en effet la tenue d’un référendum si, « à quelque moment que ce soit, il apparaît vraisemblable qu’une majorité de votants exprime le souhait que l’Irlande du Nord cesse d’ être partie intégrante du Royaume-Uni et soit rattachée à la République ». « La question dorénavant n’est pas de savoir si ce référendum aura lieu, mais quand », estime Jon Tonge.
Cet article a été adapté de l’anglais par Romain Brunet. L’article original est à retrouver ici.
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