Saïd Djabelkhir, islamologue et spécialiste du soufisme, a été condamné le 22 avril à trois ans de prison par la justice algérienne pour « atteinte aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans ». « Choqué » par ce verdict, l’universitaire a fait appel.
Que vous reproche-t-on exactement ?
Saïd Djabelkhir. L’homme qui m’accuse enseigne l’informatique à l’université de Sidi-Bel-Abbès. Il affirme que plusieurs de me publications l’ont offensé et il est soutenu dans sa démarche par six avocats qui se sont constitués partie civile. Je ne connais pas ces gens qui me reprochent, en somme, de faire mon travail et de dire ce que je pense. Moi, je suis islamologue, je ne fais que donner mon avis en m’appuyant sur des sources scripturaires [relatif à l’écriture sainte]. Comme je l’ai expliqué au juge, tout ce que j’avance est sourcé.
Par exemple, j’ai écrit que certains rituels et certaines pratiques existaient avant l’islam, comme les pèlerinages qui se pratiquaient dans un cadre païen. Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est mentionné dans le Coran et de nombreux commentateurs, actuels ou anciens, l’ont dit avant moi. Tout islamologue le sait.
On m’accuse aussi de nier la parole du prophète car je considère que certains hadiths [paroles attribuées au prophète Mahomet] ne sont pas recevables aujourd’hui. Là encore, il existe depuis le premier siècle de l’Hégire [au VIIIe siècle, après la mort de Mahomet] des érudits qui rejettent certains hadiths quand d’autres les acceptent.
Enfin, j’ai publié des textes concernant les contes relatés dans le Coran. Selon moi, ces récits ne relèvent pas de l’histoire avec un grand H mais véhiculent des valeurs morales. Une fois de plus, je ne suis pas le seul à le dire mais, pour les plaignants, cela relève du mensonge.
Pourquoi ces questions sont-elles débattues dans un tribunal ?
C’est exactement ce qu’ont rétorqué et plaidé mes avocats. Le tribunal n’est pas un lieu où l’on débat de religion. Il y a des espaces pour cela : les universités, les médias, les centres culturels. Je ne comprends pas les raisons qui ont conduit le tribunal à me condamner, mais je constate que le but des plaignants et de museler l’expression libre, d’intimider et de faire un exemple.
En plus de votre condamnation, vous êtes aujourd’hui menacé…
En réalité, c’est le cas depuis un moment, mais cela s’est intensifié depuis le procès. J’ai reçu des menaces de mort, du type « on vous attend en prison pour vous régler votre compte ». Je ne suis plus en sécurité dehors. Certains s’en prennent désormais à moi à visage découvert, à l’exemple de ce salafiste qui a publié une vidéo d’une heure me concernant.
Nous avons, avec mes avocats, décidé de porter plainte. Heureusement, il y a aussi beaucoup de gens en Algérie qui me soutiennent, des jeunes, des intellectuels, mais aussi des membres de la diaspora, comme au Maghreb et en Egypte.
La montée de la religiosité dans la société algérienne, vingt ans après la « décennie noire », vous inquiète-t-elle ?
Nous assistons aujourd’hui à un retour en force du salafisme en Algérie. C’est un discours qui se répand de plus en plus dans les médias, à la télévision, dans la rue, sur les réseaux sociaux… Il gagne du terrain depuis le début des années 2000. C’est l’une des conséquences de la « décennie noire », clôturées par la concorde civile et la réconciliation nationale [l’amnistie des islamistes armés en échange de leur renoncement à la violence a réglé le volet sécuritaire de la crise des années 1990, sans régler son volet politique et en laissant de côté tout processus de justice et de mémoire].
Il existe aujourd’hui d’innombrables prédicateurs qui décrètent des fatwas. L’un d’eux, Mohamed Ali Ferkous, auquel je me suis opposé, a par exemple décrété que Yennayer [le nouvel an berbère] était une fête païenne et devait être bannie. Je rappelle que Yenneyar a été consacrée par la loi comme une fête nationale en Algérie. Il n’a pas été inquiété. Je vous laisse en tirer les conclusions.
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