Publié le : 28/04/2021 – 17:58
Des murs affaissés, des maisons détruites, un port englouti… À Uvira, l’une des principales villes du Sud-Kivu (est de la RD Congo), le lac Tanganyika est sorti de son lit. Ses eaux ont inondé plusieurs maisons construites anarchiquement sur les rives, faisant des milliers de sinistrés. Le spectre du drame humanitaire d’avril 2020 plane à nouveau.
C’est la saison des pluies dans le Sud-Kivu. Et depuis plusieurs semaines, le niveau du lac Tanganyika monte. Ses eaux se sont déjà déversées profondément dans les terres et menacent désormais de rendre inaccessible la route nationale 5, qui relie la ville d’Uvira à Bujumbura, la capitale burundaise.
Cette vidéo filmée par notre Obs Trésor montre l’avancée du lac Tanganyika.
Sous la menace, les populations ont dû abandonner leurs maisons totalement inondées et vivent désormais dans des abris de fortune fabriqués à partir de bâches. Elles craignent désormais de revivre le drame humanitaire d’avril 2020, où la montée des eaux du lac Tanganyika, cumulée avec celle de la rivière Mulongwe, avait créé des inondations inédites, tuant 46 personnes.
« Que fera-t-on si les pluies deviennent incessantes ? »
Kimbuli Ruhaya est le chef du quartier Kavimvira, l’un des districts touchés par les inondations.
C’est très grave et lamentable ce qui se passe ici. Les eaux du lac sont entrées dans les terres jusqu’à 150 mètres [300 mètres, selon La Nouvelle société civile d’Uvira]. L’année dernière, il y a eu énormément de pluies. Mais cette année, il ne pleut pas encore beaucoup et le lac inonde déjà. Que fera-t-on si les pluies deviennent incessantes ?
Plusieurs quartiers sont touchés, dont le mien. Plusieurs maisons ont été détruites et les populations vivent maintenant sous des bâches. Les familles ont dépensé de l’argent pour construire leurs maisons, ils vont devoir les quitter et n’ont aucun espoir de les récupérer. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école.
L’État doit nous venir en aide et nous trouver de nouvelles parcelles pour reloger toutes ces personnes.
Il n’existe pas encore de bilan officiel des dégâts matériels et du nombre de sinistrés. Sur le terrain, plusieurs organisations de la société civile s’activent pour venir en aide aux populations.
« L’État congolais ne semble pas avoir tiré les leçons des inondations de 2020 »
André Byadunia, coordonnateur de la Nouvelle Société Civile d’Uvira, estime à plus de 6 800 le nombre de victimes. En 2020, 3 700 maisons avaient été détruites par les inondations qui ont impacté plus de 80 000 personnes, selon les autorités municipales.
La situation est alarmante. Les ménages sont jetés à la rue. Dans certaines maisons, l’eau est montée jusqu’à cinq mètres.
L’État congolais ne semble pas avoir tiré les leçons des inondations d’avril 2020 : il n’y a pas de camps construits pour accueillir les sinistrés qui s’ajoutent aujourd’hui à ceux de l’année passée. Il n’y a pas d’assistance en vivres, il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de latrines.
Les sinistrés ont construit des maisonnettes provisoires dans les cours d’écoles et les églises loin des rives. Les enfants dorment à la belle étoile et sont exposés au Covid-19 et au paludisme. Les autorités n’ont même pas daigné distribuer des moustiquaires aux familles.
Le lac Tanganyika est le deuxième lac le plus profond au monde (1 470 m), après le lac Baïkal en Sibérie. C’est le deuxième plus grand lac d’Afrique (32 900 km2) après le lac Victoria. Avant la montée des eaux de ces deux dernières années, la dernière crue exceptionnelle du lac remontait à 1963, selon La Libre Belgique.
Les rues d’un quartier inondé par les eaux du lac Tanganyika.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Mathieu Mertino, spécialiste des questions environnementales et africaines à la Fondation pour le recherche stratégique, explique que les crues exceptionnelles du lac Tanganyika sont une conséquence du dérèglement climatique, mais aussi des activités humaines :
Les saisons de pluies sont de plus en plus intenses. Depuis la période El Niño [phénomène climatique caractérisé par une augmentation anormale de la température des eaux du Pacifique-Est NDLR], l’Afrique de l’Est et particulièrement la région des Grands Lacs a été particulièrement touchée par le phénomène du dérèglement climatique, ce qui contribue à des phénomènes d’inondations de plus en plus importants.
Aussi à cause de l’extension des villes, les gens construisent de plus en plus dans les zones inondables. Il y a une surexploitation autour du lac, ce qui crée une déforestation importante. Toute la flore qui était là au départ pour récupérer ou absorber le plein d’eau n’existe plus. Même la structure naturelle des sols qui était faite pour cela, a été déformée par les activités humaines. Tout ceci dénature le chemin classique de l’eau et favorise le phénomène des inondations.
Il faut donc revoir les stratégies d’occupation des sols pour favoriser des zones de stockages d’eau quand il pleut beaucoup et des canaux de drainage vers le lac pour empêcher les inondations autour du bassin versant.
« Les autorités délivraient les permis de construire et octroyaient les parcelles »
Des voix s’élèvent désormais pour dénoncer les constructions anarchiques tout près du lac, encouragées par les autorités locales. « Il n’y aurait pas des inondations de cette envergure si les maisons étaient construites à bonne distance du lac. Les gens se sont rapprochés trop près des eaux. C’est interdit par la loi. Mais rien n’est respecté », explique Trésor Nakalembeka, un habitant de la ville.
André Byadunia reprend :
Ce ne sont pas les populations qui sont responsables de ces constructions anarchiques. Aucune autorité n’est jamais venue expliquer les dangers de bâtir des habitations dans ces zones. Au contraire, ils délivraient les permis de construire et octroyaient les parcelles. Il n’y a pas eu de plan d’aménagement. Les autorités doivent trouver de nouvelles parcelles aux sinistrés qui ont perdu leurs biens.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Kifara Kapenda Kiky, le maire adjoint de la ville d’Uvira, accuse la mauvaise gestion des autorités locales sous le précédent régime.
Il y a plusieurs années, les eaux du lac avaient reculé. Et les nouveaux espaces créés ont été accaparés par les populations pour y construire des biens immobiliers. Bien entendu avec la complicité des autorités de l’époque.
Dans le cadastre, il est dit qu’on ne peut pas construire au bord du lac et qu’il fallait être au moins à 50 mètres des rives. Cela n’a pas été respecté à cause de la mauvaise gouvernance. Il y a eu une faille dans la distribution des parcelles. Avec l’augmentation de la démographie, il n’y a pas eu de prévisions pour penser à la création de nouvelles villes.
Mais aujourd’hui l’ampleur du phénomène est telle que les eaux sont allées au-delà des 50 mètres prévus. Même les bâtiments administratifs sont touchés. Ceux du poste frontalier entre la RD Congo et le Burundi sont sous l’eau. Les agents travaillent désormais dans la rue. En centre-ville, les marchés sont inondés. La situation est chaotique.
Malheureusement, la mairie est jeune. C’est une nouvelle entité administrative qui a été créée, il y a seulement deux ans. Et nous n’avons pas les moyens de faire face à même un dixième des besoins des populations. Nous lançons un appel à l’aide au niveau national et international.
Le discours du maire adjoint d’Uvira n’étonne pas Mathieu Merino.
Les plans d’aménagement du territoire n’ont jamais été la priorité des autorités locales, qu’elles soient municipales ou provinciales.
Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière. Les maisons ont été déjà construites. Il faut réadapter la structure des villes pour s’assurer que les constructions futures ne vont pas dégrader encore plus la structure des sols. Il faut revoir les stratégies d’occupation des sols pour favoriser des zones de stockage d’eau quand il pleut beaucoup, et des canaux de drainage vers le lac pour empêcher les inondations autour du bassin versant.
Mais dans un pays comme la République démocratique du Congo qui reste encore fragile, l’État n’a pas les moyens économiques de ce genre de politiques publiques et n’a pas vraiment de conscience administrative de ce genre de problématiques.
À Uvira, les populations devront donc attendre ou se débrouiller par elles-mêmes pour se reloger.
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