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Tchad : attention, cette vidéo n’a rien à voir avec les récentes offensives des rebelles du FACT

Publié le : 27/04/2021 – 18:55

Depuis la mort du président tchadien Idriss Déby Itno le 20 avril 2021, attribuée aux rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact), une vidéo prétendant montrer les équipements dernier cri de ce groupe armé circule dans de nombreux pays. Il s’avère que cette vidéo date de 2017 et ne montre pas les activités du Fact, mais celles de mercenaires combattant aux côtés du maréchal Haftar en Libye. 

La vidéo diffusée fin avril 2021 montre au moins trois véhicules blindés Panthera T6, de fabrication émiratie, ainsi que des véhicules de type pick-up équipés d’armes lourdes. Accrochés à l’un de ces véhicules, on distingue huit roquettes et un lance-roquettes. 

Sur les réseaux sociaux, ces images ont été présentées comme montrant l’avancée des rebelles du Fact vers la capitale N’Djamena à la mi-avril et ont continué de circuler après la mort du président Idriss Déby Itno. 

“Déby est mort. L’avenir du Tchad est en suspens. Les rebelles semblent très bien équipés [...]”, s’interrogeait dans un tweet depuis supprimé cet expert du Crisis Group, un think thank spécialiste des conflits internationaux.
“Déby est mort. L’avenir du Tchad est en suspens. Les rebelles semblent très bien équipés [...]”, s’interrogeait dans un tweet depuis supprimé cet expert du Crisis Group, un think thank spécialiste des conflits internationaux.
“Déby est mort. L’avenir du Tchad est en suspens. Les rebelles semblent très bien équipés […]”, s’interrogeait dans un tweet depuis supprimé cet expert du Crisis Group, un think thank spécialiste des conflits internationaux. © Twitter

D’autres publications affirment que ces images montrent le Fact dans les jours qui ont précédé la mort du président, ou le lendemain de sa mort. 

Les hommes portent divers uniformes et l’un d’eux s’exprime dans un mélange d’arabe tchadien et de langue gorane : « Monte dans la voiture », lance-t-il à l’un de ses camarades d’armes.  

La langue utilisée par cet homme est parlée dans l’extrême-nord du pays, mais plusieurs éléments dans la vidéo permettent de douter que ces images documentent une démonstration de force récente des troupes du Fact. 

Tout d’abord, plusieurs éléments visuels renvoient aux forces du général Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, l’un des deux camps de la guerre civile libyenne qui contrôle l’est du pays, soutenu par l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie et la France. 

On distingue notamment le drapeau libyen accroché à l’avant du blindé, et une inscription partielle en forme d’arc de cercle sur le pare-brise d’un véhicule qui précise : Armée nationale libyenne, en arabe. 

Captures d'écran de la vidéo.
Captures d'écran de la vidéo.
Captures d’écran de la vidéo. © Facebook

Par ailleurs, la présence de véhicules blindés de type Panthera T6 dans un contexte libyen indique, selon les spécialistes interrogés par la rédaction des Observateurs de France 24, une affiliation au camp de Haftar, qui les a reçus à partir de 2016 des Émirats arabes unis, où ils sont conçus et fabriqués.  

Un lot de véhicules militaires, dont des Panthera T6, reçu par le camp Haftar dans les villes de Tobrouk et Al-Mârg, selon cette publication Facebook de la page de la “Salle des opérations du Grand Syrte”, une division de l’Armée nationale libyenne dans la région de Syrte, datée du 1er mai 2016.
Un lot de véhicules militaires, dont des Panthera T6, reçu par le camp Haftar dans les villes de Tobrouk et Al-Mârg, selon cette publication Facebook de la page de la “Salle des opérations du Grand Syrte”, une division de l’Armée nationale libyenne dans la région de Syrte, datée du 1er mai 2016.
Un lot de véhicules militaires, dont des Panthera T6, reçu par le camp Haftar dans les villes de Tobrouk et Al-Mârg, selon cette publication Facebook de la page de la “Salle des opérations du Grand Syrte”, une division de l’Armée nationale libyenne dans la région de Syrte, datée du 1er mai 2016. © Facebook

Ces éléments viennent mettre en doute l’idée qu’il s’agirait des forces du Fact. Une recherche d’image inversée (voir ici comment procéder) effectuée sur le moteur de recherche Yandex nous permet de confirmer que ces images ont été sorties de leur contexte : la vidéo était déjà en ligne en 2018 et d’autres images montrant la même scène et le même convoi dès mai 2017.  

Que montrent exactement ces images 

Les recherches d’images inversées nous renvoient vers plusieurs publications datées du 19 mai 2017 affirmant qu’il s’agirait de diverses brigades de l’Armée nationale libyenne, déployées tantôt dans la ville de Traghen ou dans la base aérienne de Brak al-Shati

Cependant, des recherches supplémentaires effectuées sur de nombreuses pages Facebook affiliées à l’Armée nationale libyenne permettent de retrouver une série de photos datée du 17 mai 2017, elle-même associée à une vidéo publiée le 19 mai 2017.

Dans cette vidéo publiée sur Facebook par un internaute libyen se disant basé dans la ville de Koufra (sud), on reconnaît le même convoi militaire. Cette publication est la plus ancienne occurrence de la vidéo disponible sur les réseaux sociaux à notre connaissance. Il n’a pas été possible d’établir si elle avait circulé antérieurement, par exemple sur des profils privés ou des applications de messagerie.  

Ces images font état d’un défilé militaire organisé dans le sud du pays par la 129e brigade de l’Armée nationale libyenne, aussi appelée Brigade des lions du désert et Brigade du martyr Ali, à l’occasion du troisième anniversaire de l’opération Dignité, le nom donné par le camp Haftar à la bataille de Benghazi, remportée le 16 mai 2014 par ce dernier.  

Montages de captures d'écran de la vidéo de 2017 en haut et, en bas, de celle ayant circulé à la mi avril 2021. Chaque couleur correspond au même véhicule placé au même endroit dans les deux vidéos.
Montages de captures d'écran de la vidéo de 2017 en haut et, en bas, de celle ayant circulé à la mi avril 2021. Chaque couleur correspond au même véhicule placé au même endroit dans les deux vidéos.
Montages de captures d’écran de la vidéo de 2017 en haut et, en bas, de celle ayant circulé à la mi avril 2021. Chaque couleur correspond au même véhicule placé au même endroit dans les deux vidéos. © France 24

La disposition des véhicules, les motifs peints sur leur carrosserie sont reconnaissables, ainsi que les roquettes accrochées à l’un d’eux. 

Captures d'écran de la vidéo de 2017, à gauche, et de celle ayant circulé récemment à droite.
Captures d'écran de la vidéo de 2017, à gauche, et de celle ayant circulé récemment à droite.
Captures d’écran de la vidéo de 2017, à gauche, et de celle ayant circulé récemment à droite. © France 24

Plusieurs éléments de la série de photo et de la vidéo de 2017 montrant le même convoi nous permettent de confirmer qu’il s’agit effectivement de cette brigade : les mots « lions du désert », « martyr ali » sur le pare-brise et d’autres véhicules, écrits en arabe.  

Les photos du bas et celle en haut à droite sont issues d’une publication Facebook datée du 17 mai 2017, d’une page parlant de l’ethnie Toubou présente en Libye.
Les photos du bas et celle en haut à droite sont issues d’une publication Facebook datée du 17 mai 2017, d’une page parlant de l’ethnie Toubou présente en Libye.
Les photos du bas et celle en haut à droite sont issues d’une publication Facebook datée du 17 mai 2017, d’une page parlant de l’ethnie Toubou présente en Libye. © Facebok

Par ailleurs, le fait qu’on entende un homme parler en langue gorane s’explique aussi par le fait que cette brigade est pour une grande partie constituée de mercenaires venus d’Afrique subsaharienne, pour certains du Tchad. Son commandant, Ali Said Al Tabawi, est connu pour avoir organisé aux côtés du maréchal Haftar leur recrutement, et plusieurs documents diffusés sur les réseaux sociaux précisent que de nombreux Tchadiens en faisaient partie. Plusieurs inscriptions sur les véhicules du convoi précisent d’ailleurs : « lions du désert toubous », du nom de l’ethnie toubou qui occupe un territoire à cheval entre le Tchad, la Libye, le Soudan et le Niger.  

Les experts de la région estiment aujourd’hui que les membres du Fact, pour la plupart issus de l’ethnie touboue, ont bien combattu aux côtés des troupes de Haftar pendant la guerre civile libyenne. Ils étaient par ailleurs basés au sud du pays. Cependant, depuis l’accord de paix signé le 23 octobre 2020 entre le maréchal Haftar et le gouvernement de Tripoli, les troupes étrangères ont dû quitter le pays et ces rebelles sont donc rentrés au Tchad.  

Notre rédaction n’a pu trouver aucune image permettant de confirmer que des véhicules blindés de type Panthera T6 sont actuellement en possession des rebelles du Fact. Sur les images diffusées par l’armée tchadienne et la presse la veille de la mort d’Idriss Déby Itno, quand 300 rebelles avaient été capturés selon les autorités tchadiennes, on distingue uniquement des pick-up équipés d’armes lourdes et des camions de transport.

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« Ils auraient 400 à 450 voitures équipés d’armes lourdes, ce qui a surpris l’armée tchadienne […] Vu que Haftar était soutenu par la Russie, il y a aussi eu des rumeurs d’entraînement des rebelles par l’entreprise militaire russe Wagner. Il n’y a cependant eu aucune preuve que Haftar ou Wagner ont effectivement équipé les rebelles pour qu’ils puissent combattre à l’extérieur de la Libye », a précisé auprès d’Al Jazeera le chercheur spécialiste du Tchad Jérôme Tubiana.   

Conclusion 

Les images diffusées dans les jours qui ont précédé et suivi la mort du président tchadien Idriss Déby ont été sorties de leur contexte : elles ne montrent pas les rebelles du Fact et l’équipement dont ils disposent actuellement. 

La trace la plus ancienne de ce convoi militaire remonte au 16 mai 2017 et est associée à une parade réalisée dans le désert du sud libyen par un bataillon constitué d’un grand nombre de mercenaires subsahariens, pour certains tchadiens. 

S’il est possible que certains individus présents dans la vidéo aient ensuite rejoint le Fact, ces images ne peuvent être associées aux récentes avancées militaires du groupe. 

Source

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