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Publié le : 23/04/2021 – 18:47
Dans plusieurs communes de la capitale économique ivoirienne, des habitants rencontrent des problèmes récurrents d’accès à l’eau potable courante. Notre Observateur vit dans le quartier d’Abobo Té où, malgré de nombreuses alertes, les pénuries perdurent depuis 2015. Il témoigne des difficultés rencontrées par ses proches, contraints de recueillir de l’eau tard dans la nuit.
« Pas d’eau par ici… pas d’eau là ! » À Abobo Té, un quartier d’Abidjan, certains habitants ont beau tourner leurs robinets, l’eau ne coule pas. Dans une série de vidéos envoyées à notre rédaction le 21 avril, Qavani Guy Noël Koné, membre du collectif d’Abobo Té pour l’accès à l’eau potable, a documenté sa routine face à ces pénuries à répétition.
Seul un robinet installé devant sa maison, à l’extérieur, devant le compteur d’eau, permet de faire quelques provisions : de l’eau y coule bien… mais seulement entre 1 h et 4 h du matin. Dans sa famille, comme dans d’autres foyers du quartier, il faut donc se réveiller dans la nuit et stocker l’eau dans des bassines et des bidons.
« Certains habitants ont baissé les bras ; pour eux, c’est devenu une routine »
Cela fait plusieurs années que le collectif d’Abobo Té pour l’accès à l’eau potable alerte la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci) – seule structure chargée de la distribution d’eau en milieu urbain – à ce sujet. Pour Qavani Guy Noël Koné, qui s’exprime au nom du collectif, ce problème de pénurie d’eau est bien connu :
En 2014, dans le quartier Abobo Té, nous avions de l’eau. L’année suivante, une route a été construite entre Abobo et Angré, la commune voisine. Depuis, il n’y a plus d’eau courante à Abobo Té.
La seule solution a été d’installer un robinet au niveau du compteur, devant les maisons. De l’eau y est disponible dans la nuit. Dans les ménages, il y a des stocks d’eau partout. Des camions de l’Office national de l’eau potable passent également une fois par semaine.
Chaque fois, la Sodeci explique qu’il y a bien de l’eau dans notre secteur, qu’il faut patienter. Environ 30 à 40 ménages sont concernés dans notre quartier. Mais l’absence d’eau courante concerne différentes zones des communes d’Abobo, Cocody ou Yopougon. Ces communes ne sont pas reliées les unes aux autres, le seul point commun que je vois, c’est que ce sont des zones où vivent des personnes à revenus moyens. C’est discriminatoire.
Nous avons monté des collectifs pour alerter, mais rien ne change. Certains habitants ont baissé les bras. Pour eux, c’est devenu une routine, quelque chose de banal. Ils n’ont plus la volonté de régler le problème. Pendant ce temps, nous continuons à payer des factures à la Sodeci alors que cette eau n’arrive pas à nos robinets, à nos douches, à nos toilettes.
Dans un communiqué le 16 avril, le ministère ivoirien de l’Hydraulique a appelé les habitants d’Abidjan au calme après des perturbations dans la distribution de l’eau dans plusieurs quartiers de la ville. Selon le ministère, l’accès à l’eau potable n’est pas garanti en raison de casses entraînées par des travaux de voirie, d’incidents techniques liés à des coupures d’électricité, et des problèmes de restructuration du réseau engendré par « l’urbanisation galopante » de certaines zones d’Abidjan.
Le même jour, la Sodeci a annoncé qu’un incident technique causé par des travaux de voirie avait privé d’eau potable plusieurs quartiers d’Abidjan, dont celui d’Abobo Té.
Notre Observateur estime toutefois que le problème est plus ancien et qu’il n’y a, depuis plus de cinq ans, aucune volonté politique de le résoudre.
Dans la presse ivoirienne, des témoignages font régulièrement état d’absence d’eau courante dans plusieurs communes d’Abidjan : à Abobo, mais aussi à Yopougon et Cocody. Dans tous ces quartiers, les solutions de fortune sont les mêmes : attendre que l’eau coule tard dans la nuit, aller en acheter à des revendeurs… ou déménager – pour ceux qui en ont les moyens.
« Il faut accélérer les projets de restructuration qui ont déjà été lancés »
Wilfried Gautier Koukougnon, enseignant-chercheur à l’Institut de géographie tropicale d’Abidjan, travaille depuis 2015 sur l’approvisionnement en eau dans la métropole :
Jusqu’en 1999, le secteur de l’eau était stable : il y avait un équilibre entre l’offre et la demande. Puis il y a eu le coup d’État, qui a entraîné la suspension de tous les investissements en cours [En décembre 1999, Henri Konan Bédié, au pouvoir depuis 1993, est renversé par un putsch mené par le général Robert Guéï. En 2000, Laurent Gbagbo accède au pouvoir, NDLR]. En 2000, avec les élections, il y a eu une relance… que la crise de 2002 est venue suspendre. Pendant plusieurs années, le pays a donc connu une instabilité, qui a touché le secteur de l’eau.
Au sortir de la crise post-électorale, en 2011-2012, toute la Côte d’Ivoire et Abidjan ont été en situation de déficit au niveau de la production d’eau. Des projets structurants ont été engagés avec pour objectif de stabiliser la situation jusqu’à l’horizon 2015. Parallèlement, la population a augmenté et le déficit s’est accru.
Il y a un besoin estimé de 670 000 m3 d’eau par jour pour le Grand Abidjan. Mais la production réelle en eau se situe actuellement à 570 000 m3/j, soit un déficit de 100 000 m3/j. Par ailleurs, il y a des retards et des lenteurs dans l’exécution des projets d’amélioration de la desserte en eau. Il y a aussi des casses lors des travaux de voirie et des incidents techniques liés à des coupures d’électricité dans plusieurs quartiers d’Attécoubé et Yopougon. Ce sont surtout les quartiers périphériques qui connaissent ces problèmes.
Au niveau institutionnel, il y a un déficit de communication. Les populations ne bénéficient d’éclairage que lorsqu’elles s’énervent. C’est à ce moment-là seulement que les acteurs apportent des éléments de réponse plus ou moins satisfaisants. Ces acteurs sont au nombre de trois : l’État, l’Office national de l’eau potable (Onep) et la Sodeci, mais aucun ne veut définir sa part de responsabilité.
Les solutions sont connues : il faut accélérer les projets de restructuration déjà lancés. Les politiques communiquent sur les cérémonies de lancement des projets, mais ils n’évoquent pas les délais d’exécution.
En mai 2020, le ministre de l’Hydraulique a annoncé le lancement du projet d’Amélioration des performances techniques et financières du secteur de l’eau potable (APTF), couvrant 155 sous-quartiers d’Abidjan qui n’ont pas accès à l’eau potable.
L’objectif est de régler d’ici à 2023 la question de la desserte en eau de ces quartiers en rendant cette ressource « disponible à Abidjan dans plus de 95 % des quartiers et sous-quartiers ». Plus de 800 km de réseaux de distribution doivent être posés et la production d’eau devrait être renforcée de plus de 30 000 m3 par jour.
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