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« La guerre froide avait ses rassurantes certitudes. Aujourd’hui, nos lignes rouges sont brouillées »

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Le chef de l’opposition russe Alexei Navalny lors d’une audience, à Moscou, le 20 février. Le chef de l’opposition russe Alexei Navalny lors d’une audience, à Moscou, le 20 février.

La grève de la faim est le recours ultime des sans-pouvoir, la seule arme qui reste quand ils ont tout essayé. Quarante ans avant son compatriote Alexeï Navalny, le physicien soviétique Andreï Sakharov, exilé à Gorki en 1980 pour avoir dénoncé l’intervention de son pays en Afghanistan, l’a utilisée à plusieurs reprises. Chaque fois, il a été hospitalisé et nourri de force, placé à l’isolement pendant plusieurs mois. En décembre 1986, Mikhaïl Gorbatchev avait mis fin à son exil. De retour à Moscou, Sakharov et sa femme Elena Bonner avaient aussitôt repris leur combat.

L’académicien Sakharov bénéficiait du soutien actif du « monde libre » et de ses intellectuels. Le prix Nobel de la paix qui lui avait été accordé en 1973 en était un symbole, comme celui qui récompensa le courage des Polonais à travers le leader ouvrier Lech Walesa en 1983.

Alexeï Navalny, lui, s’est vu retirer son statut de « prisonnier d’opinion » par Amnesty International en février, après son arrestation, parce que l’ONG de défense des droits de l’homme avait eu vent de propos tenus « par le passé pouvant s’apparenter à un appel à la haine susceptible de constituer une incitation à la discrimination, à la violence ou à l’hostilité ». Selon la nouvelle secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, un « réexamen » du statut de Navalny est en cours. Avec un peu de chance, sa réhabilitation interviendra avant sa mort.

Les héros ne sont pas toujours comme l’on voudrait qu’ils soient, surtout lorsqu’ils évoluent en eaux troubles. Il n’aurait pas fallu chercher très loin dans les foisonnantes déclarations de Walesa pour y trouver des propos qui, hors de leur contexte, pouvaient choquer en Occident. On a attendu qu’il ait gagné son combat pour le faire.

« Bien sûr j’ai peur »

Icône parmi les icônes, Aung San Suu Kyi est tombée de son piédestal pour avoir couvert les massacres des Rohingya par les militaires birmans avec lesquels elle était contrainte de partager le pouvoir. Plusieurs des distinctions dont on l’avait parée lui ont été retirées ; le Comité Nobel a sagement maintenu son prix, soulignant qu’il avait été accordé en 1991 pour ce qu’elle avait réalisé jusque-là. De nouveau sous les verrous pour avoir gagné les élections, la dirigeante birmane dépouillée de son prix Nobel serait une proie encore plus vulnérable pour la junte.

La guerre froide avait ses rassurantes certitudes. Nos lignes rouges d’aujourd’hui sont plus floues et pour ceux qui continuent à se battre contre les régimes autoritaires, cette incertitude est troublante. Eux-mêmes ne vacillent pas, pourtant.

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