Il ferraille contre les Gafa, s’oppose à la fusion entre Veolia et Suez, met son veto au rachat de Carrefour par la firme canadienne Couche-Tard. Ce nouveau champion du souverainisme français ne s’appelle pas Arnaud Monte-bourg ou Jean-Luc Mélenchon mais Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui a pris, à la faveur de la crise, un virage colbertiste aussi inédit qu’assumé. Renonçant à son projet de privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), s’accommodant de l’explosion des cadres budgétaires européens, l’ancien LR assure aujourd’hui avoir pour « objectif stratégique » la souveraineté économique de la France. Une métamorphose spectaculaire pour ce libéral convaincu, qui avait mis un point d’honneur en arrivant à Bercy à ramener la France dans les critères de Maastricht, déchaînant les critiques d’une partie de la gauche et du Rassemblement national.
Lire aussiJean-Luc Mélenchon: « Il faut taxer les profiteurs du coronavirus »
Aujourd’hui, ils sont peu nombreux à critiquer ce changement de pied. Et pour cause, le souverainisme n’a peut-être jamais eu autant le vent en poupe dans le pays. La crise sanitaire, et ce qu’elle a révélé des fragilités françaises – sur les vaccins, les masques et les respirateurs – a agit comme un détonateur. « Et le souverainisme est devenu le nouveau courant de pensée majoritaire », indique le
« Arc républicain »
Ce retournement d’opinion n’a pas échappé aux partis qui ont adapté leurs discours et leurs propositions. Longtemps cantonnées à un champ confidentiel de l’espace politique, allant grossièrement de Jean-Pierre Chevènement à l’ex-numéro deux du FN Florian Philippot, les idées souverainistes connaissent un nouvel essor. Et ses partisans, comme le chantre du made in France Arnaud Montebourg, qui consulte en vue de 2022, s’en trouvent réhabilités. L’ancien ministre de François Hollande est devenu une sorte de totem politique que tout le monde s’arrache, à gauche – Jean-Luc Mélenchon a salué son « utilité » – et à droite – Xavier Bertrand, candidat déclaré à la présidentielle, évoquant la possibilité d’un « arc républicain » menant jusqu’à l’ancien socialiste.
Lire aussiPhotonis, Carrefour: comment la France veut protéger ses fleurons
Tous souverainistes? L’évolution est notablement sensible à droite où dans le sillage de son recentrage économique post-Fillon, le parti dirigé par Christian Jacob a adapté son message politique. « L’idée n’est pas de sombrer dans un souverainisme bête et méchant mais de défendre notre capacité à reprendre le dessus sur la marche du monde et la fatalité des choses », plaide le numéro trois de LR Aurélien Pradié. Un angle d’attaque tout trouvé contre Emmanuel Macron que les cadres de LR décrivent volontiers affaibli par la bureaucratie et victime de la technostructure: « Quand le politique ne peut pas arbitrer à la place du scientifique, se pose la question de la souveraineté. »
« Qui est contre l’Europe? »
Mais ce nouveau positionnement est loin de faire l’unanimité à droite. Ainsi, le président de la commission des Finances de l’Assemblée Eric Woerth ne décolère pas d’avoir vu au printemps 2019 se constituer un front de 76 parlementaires LR contre la privatisation d’ADP. « On assiste à une fièvre souverainiste qui n’a rien à voir avec la souveraineté, qui n’en est qu’une vision dégradée, motivée par la peur du déclassement, éreinte le député de l’Oise. C’est au fond assez proche d’une forme de démagogie, d’un certain populisme. » Et d’avertir: « A chaque fois qu’on fait du Montebourg, on perd des électeurs. »
Lire aussiLa tentation du patriotisme économique en France
Le politologue Gérard Grunberg se montre tout aussi circonspect face à cette nouvelle pensée unique. « Parmi tous ceux qui se revendiquent souverainistes aujourd’hui, combien proposent réellement de revenir sur les institutions européennes, l’euro, la Banque centrale européenne? » Et un cadre de la majorité d’enfoncer le clou: « Ce n’est pas nous qui avons changé, ce sont les eurosceptiques. Qui est contre l’Europe aujourd’hui? En 2017, Marine Le Pen voulait sortir de Schengen et de l’euro. Maintenant elle veut rester. On le voit bien, la souveraineté aujourd’hui est européenne. »
]
L’article Souverainisme économique: la nouvelle pensée unique est apparu en premier sur zimo news.