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Souverainisme économique: la nouvelle pensée unique

Il ferraille contre les Gafa, s’oppose à la fusion entre Veolia et Suez, met son veto au rachat de Carrefour par la firme canadienne Couche-Tard. Ce nouveau champion du souverainisme français ne s’appelle pas Arnaud Monte-bourg ou Jean-Luc Mélenchon mais Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui a pris, à la faveur de la crise, un virage colbertiste aussi inédit qu’assumé. Renonçant à son projet de privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), s’accommodant de l’explosion des cadres budgétaires européens, l’ancien LR assure aujourd’hui avoir pour « objectif stratégique » la souveraineté économique de la France. Une métamorphose spectaculaire pour ce libéral convaincu, qui avait mis un point d’honneur en arrivant à Bercy à ramener la France dans les critères de Maastricht, déchaînant les critiques d’une partie de la gauche et du Rassemblement national.

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Aujourd’hui, ils sont peu nombreux à critiquer ce changement de pied. Et pour cause, le souverainisme n’a peut-être jamais eu autant le vent en poupe dans le pays. La crise sanitaire, et ce qu’elle a révélé des fragilités françaises – sur les vaccins, les masques et les respirateurs – a agit comme un détonateur. « Et le souverainisme est devenu le nouveau courant de pensée majoritaire », indique le

patron de l’institut Elabe, Bernard Sananès. Dans deux de ses sondages, conduits à six mois d’intervalle en juillet et en février dernier, le basculement de l’opinion française se confirme: seuls 17% des Français estiment que, pour répondre à leurs besoins, « la France doit continuer à faire des échanges avec tous les pays du monde » quand quatre Français sur cinq appellent à davantage de souveraineté économique à l’échelle européenne (39%) ou dans le cadre national (43%).

« Arc républicain »

Ce retournement d’opinion n’a pas échappé aux partis qui ont adapté leurs discours et leurs propositions. Longtemps cantonnées à un champ confidentiel de l’espace politique, allant grossièrement de Jean-Pierre Chevènement à l’ex-numéro deux du FN Florian Philippot, les idées souverainistes connaissent un nouvel essor. Et ses partisans, comme le chantre du made in France Arnaud Montebourg, qui consulte en vue de 2022, s’en trouvent réhabilités. L’ancien ministre de François Hollande est devenu une sorte de totem politique que tout le monde s’arrache, à gauche – Jean-Luc Mélenchon a salué son « utilité » – et à droite – Xavier Bertrand, candidat déclaré à la présidentielle, évoquant la possibilité d’un « arc républicain » menant jusqu’à l’ancien socialiste.

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Tous souverainistes? L’évolution est notablement sensible à droite où dans le sillage de son recentrage économique post-Fillon, le parti dirigé par Christian Jacob a adapté son message politique. « L’idée n’est pas de sombrer dans un souverainisme bête et méchant mais de défendre notre capacité à reprendre le dessus sur la marche du monde et la fatalité des choses », plaide le numéro trois de LR Aurélien Pradié. Un angle d’attaque tout trouvé contre Emmanuel Macron que les cadres de LR décrivent volontiers affaibli par la bureaucratie et victime de la technostructure: « Quand le politique ne peut pas arbitrer à la place du scientifique, se pose la question de la souveraineté. »

« Qui est contre l’Europe? »

Mais ce nouveau positionnement est loin de faire l’unanimité à droite. Ainsi, le président de la commission des Finances de l’Assemblée Eric Woerth ne décolère pas d’avoir vu au printemps 2019 se constituer un front de 76 parlementaires LR contre la privatisation d’ADP. « On assiste à une fièvre souverainiste qui n’a rien à voir avec la souveraineté, qui n’en est qu’une vision dégradée, motivée par la peur du déclassement, éreinte le député de l’Oise. C’est au fond assez proche d’une forme de démagogie, d’un certain populisme. » Et d’avertir: « A chaque fois qu’on fait du Montebourg, on perd des électeurs. »

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Le politologue Gérard Grunberg se montre tout aussi circonspect face à cette nouvelle pensée unique. « Parmi tous ceux qui se revendiquent souverainistes aujourd’hui, combien proposent réellement de revenir sur les institutions européennes, l’euro, la Banque centrale européenne? » Et un cadre de la majorité d’enfoncer le clou: « Ce n’est pas nous qui avons changé, ce sont les eurosceptiques. Qui est contre l’Europe aujourd’hui? En 2017, Marine Le Pen voulait sortir de Schengen et de l’euro. Maintenant elle veut rester. On le voit bien, la souveraineté aujourd’hui est européenne. »

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