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En Géorgie, les manifestations anti-couvre-feu enveniment la crise politique

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Frappés de plein fouet par une crise économique galopante, commerçants et restaurateurs ont manifesté, samedi 10 avril, leur opposition au couvre-feu, en vigueur depuis cinq mois à Tbilissi, la capitale de la Géorgie, et dans les grandes villes du pays, dont Koutaïssi, Roustavi et Batoumi.

Une ritournelle qui se rejoue chaque week-end, parfois même les soirs de semaine, tant le climat est électrique. A chaque manifestation, le déroulé est peu ou prou le même : des milliers de personnes descendent l’avenue Chota-Roustaveli, une artère centrale de Tbilissi, jusqu’au Parlement. Depuis les tentes installées devant, les haut-parleurs crépitent jusqu’à pas d’heure. Quand le jour commence à baisser, les rues ne désemplissent pas. Au contraire, la foule attend le couvre-feu, à 21 heures, pour être dehors.

« Nous restons toute la nuit, confie Dachi, un étudiant en sciences sociales de 21 ans. L’idée est de créer un précédent. Que nos concitoyens comprennent qu’il est simple de braver ce couvre-feu imposé par le gouvernement. » L’assouplissement partiel des restrictions – les cinémas ont rouvert le 1er avril – annoncé par le gouvernement en mars n’a pas convaincu.

« Deux poids, deux mesures »

La visite express, le 1er avril, du journaliste star russe Vladimir Pozner a attisé l’amertume. Cette personnalité contestée en raison de ses prises de position blâmant le rôle de la Géorgie dans la guerre éclair qui l’a opposée à la Russie en 2008, était venue fêter son 87e anniversaire avec des invités. Débarqué en jet privé, il a pu braver le couvre-feu et organiser une fête en plein cœur de Tbilissi au mépris des règles sanitaires. La nuit même, la police a dû retenir plusieurs dizaines de Géorgiens chauffés à blanc, rassemblés en bas de son hôtel pour sommer le journaliste de quitter le pays.

« Cet épisode montre bien le deux poids, deux mesures du pouvoir en place, dénonce George, un autre habitué des rassemblements de l’opposition. Le gouvernement permet à un Russe, antigéorgien qui plus est, de faire ce qu’il veut. Nous, un pied dehors et on se prend des amendes ! »

Le 3 avril, un raid de la police, accompagnée d’hommes de main du pouvoir en place, s’en est pris à la permanence du Shame Movement, l’une des associations organisatrices des manifestations, à Batoumi, au bord de la mer Noire. Une enquête a été ouverte pour « violence » et « abus de pouvoir ».

D’après un sondage, une majorité de Géorgiens (59 %) se disent, certes, satisfaits de la réponse du gouvernement à l’épidémie de Covid-19, mais ce chiffre est en baisse de 20 points par rapport à 2020, et les contaminations repartent à la hausse, avec près de 700 cas quotidiens. Bien loin du pic de l’hiver dernier, et du record enregistré le 5 décembre avec 5 450 nouveaux cas, la tendance confirme néanmoins le risque d’une seconde vague. Plus de 280 000 contaminations ont été enregistrées à ce jour en Géorgie, sur 3,5 millions d’habitants.

Opposés au couvre-feu, « qui n’a jamais fait ses preuves » selon eux, les contestataires insistent sur la nécessité d’accélérer la campagne de vaccination dans le pays. Un moyen de mettre en avant les ratés du gouvernement, les premières doses de vaccin, celui d’Oxford-AstraZeneca, ayant été reçues mi-mars. Au 7 avril, seuls 0,39 % des Géorgiens avaient reçu une première dose, loin derrière leur voisin russe ou les Etats européens.

Menée par des mouvements issus de la société civile comme Shame, la protestation se veut apolitique. Mais les partis d’opposition ont tôt fait de la récupérer, plusieurs d’entre eux défilant dans les cortèges. Les anti-couvre-feu n’échappent pas à la crise politique dans laquelle la Géorgie est empêtrée depuis les élections législatives du 31 octobre 2020.

Remportées par Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012, elles seraient entachées de « fraude », selon l’ensemble des partis d’opposition, qui se sont mis d’accord pour boycotter la nouvelle assemblée. Six mois plus tard, la vie politique géorgienne est toujours dans l’impasse et les frondes se multiplient. Outre les anti-couvre-feu, la contestation contre un barrage hydroélectrique souhaité par le gouvernement dans le centre du pays mobilise par milliers chaque semaine.

Dialogue de sourds

« Les manifestations ne se sont jamais arrêtées, souligne Thorniké Gordadzé, professeur à Sciences Po et ancien ministre géorgien. Le couvre-feu est un élément supplémentaire de cette crise politique devenue chronique. Elle est due à la baisse catastrophique de la légitimité du gouvernement. La seule issue possible passe par des élections anticipées. » Une demande répétée de l’opposition, ligne rouge pour Rêve géorgien.

La médiation de l’Union européenne (UE) proposée début mars par le président du Conseil européen, Charles Michel, et son envoyé spécial, Christian Danielsson, s’est heurtée à un dialogue de sourds des partis géorgiens, les deux camps se rejetant mutuellement la faute de l’échec des pourparlers. Le 1er avril, sept députés du Parlement européen ont déclaré que leur attitude aurait « des conséquences sur la relation Union européenne-Géorgie ». Une menace qui pourrait comprendre « une suspension des futurs investissements » et « une augmentation de la conditionnalité » des 120 millions d’euros d’aides envoyés par l’UE à Tbilissi chaque année.

« Il n’y a aucun consensus possible, confirme Thorniké Sharashenidzé, directeur d’études à l’Institut géorgien d’affaires publiques. Les deux partis principaux, Rêve géorgien et le Mouvement national uni [MNU], se voient chacun comme une menace existentielle. Même si un compromis est trouvé avec des partis plus petits, une fraction du Parlement continuera le boycottage. » C’est dans ce contexte tendu que devrait s’ouvrir, mardi 13 avril, le procès du chef de file du principal parti d’opposition, le MNU, accusé d’avoir organisé des violences en marge des manifestations, et placé en détention depuis février.

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