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D’étranges clients en quête de souvenirs affluent au marché artisanal de Bangui. Habillés en treillis, certains arborent un foulard dissimulant totalement leur visage. Ils ne portent aucun écusson. Aucun logo ne figure non plus sur leurs pick-up dépourvus de plaques minéralogiques et équipés de mitrailleuses lourdes 14,5 mm.
S’ils se font aussi discrets, les fameux « instructeurs » russes n’en sont pas moins parfaitement reconnaissables dans les rues de la capitale centrafricaine. Beaucoup d’observateurs les associent à Wagner, une société militaire privée russe qui officie en Syrie, au Soudan ou encore en Libye, et est étroitement liée aux activités d’Evgueni Prigojine, un oligarque russe proche de Vladimir Poutine.
Ils ont fait leur entrée dans le pays début 2018. Officiellement, ils seraient 535, mais des sources diplomatique et militaire évoquent plutôt le chiffre de 1 700 « mercenaires russes », dont une partie assure la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra.
Leur présence s’est accrue à Bangui ces derniers mois. Ils ont participé aux côtés des Forces armées centrafricaines (FACA) à la contre-offensive contre la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), une nouvelle alliance de groupes armés qui a fortement perturbé le scrutin présidentiel du 27 décembre 2020 en prenant le contrôle des principales villes du pays.
Eviter toute poursuite en cas de bavures
« La mission des instructeurs est de former les cadres des Forces armées centrafricaines », se borne à affirmer l’ambassadeur de Russie Vladimir Titorenko, sous-entendant que ces hommes ne combattent pas. Un leitmotiv également répété par Valéry Zakharov, le très influent conseiller du président Touadéra à la sécurité intérieure. Mais, pour beaucoup, cette insistance à faire des « instructeurs » des non-combattants, vise surtout à éviter toute poursuite en cas de bavures.
Sur le terrain, les exactions commises contre les civils durant les combats contre la CPC ont été nombreuses, de part et d’autre. La division droits de l’homme de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), relève ainsi que 85 % de ces exactions sont imputables aux groupes armés, mais « les agents de l’Etat et leurs alliés » auraient également tué arbitrairement des civils, torturé et maltraité des personnes, et procédé à des arrestations arbitraires.
La Coordination des organisations de la société civile pour la paix en Centrafrique a en effet détaillé ville par ville dans une lettre adressée au président de l’Assemblée nationale le 2 mars un certain nombre de dommages. « A Grimari, peut-on y lire, un camion en provenance de Bambari a essuyé des tirs des mercenaires russes et rwandais, tuant le chauffeur et quatre civils passagers. Toutes les marchandises de ce camion ont été pillées, sous l’auspice de ces mercenaires russes. »
La lettre évoque également « des tirs bien ciblés d’un drone équipé des alliés russes sur une place mortuaire dans un village, faisant plusieurs victimes, dont des morts et des blessés graves » à proximité de Boda.
Viols, torture, enlèvements, assassinats
Malick Karomshi, qui dirige une organisation de victimes musulmanes, a de son côté documenté trente-deux cas de viols, torture, enlèvements et assassinats, selon lui directement imputables aux « instructeurs russes ». Il affirme que « les minorités peule et arabe étaient directement ciblées », car soupçonnés d’accointance avec la CPC. Evoquant l’une de ces victimes, il précise qu’elle a été kidnappée à Bangui et torturée. Les Russes l’accusaient de financer les groupes armés.
Amnesty International a également publié une enquête le 25 février, fondée sur des photos et des vidéos, qui conclue à la mort de civils dans une mosquée à Bambari lors de la contre-offensive des 15 et 16 février dans la ville. « En tout, quatorze cadavres sont visibles sur le sol (…), écrit l’organisation. Pour les parties visibles, les personnes ne portaient pas de tenues militaires. La vidéo a également permis de voir en gros plans certains de ces cadavres dont une femme et un enfant. »
Il est très difficile de vérifier ces informations sur le terrain et d’attribuer clairement la responsabilité de ces crimes, le contrôle de l’information sur les opérations militaires en cours étant verrouillé. Toutefois, des experts des Nations unies ont publié un communiqué mercredi 31 mars, qui confirme les « graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international, imputables aux militaires privés opérant conjointement avec les FACA », et dénoncent également la « proximité et l’interopérabilité entre ces entrepreneurs et la Mission des Nations unies ».
Envoyés dans le cadre d’un accord de coopération militaire en Centrafrique, « les instructeurs ont conclu des contrats avec le ministère centrafricain de la défense », précise l’ambassadeur russe. Ce ne sont donc pas des forces officielles, ce que confirme d’ailleurs Alexander Ivanov, le directeur d’une mystérieuse Communauté des officiers pour la sécurité internationale (COSI), qui affirme avoir passé un contrat avec le gouvernement centrafricain.
« Proche de Poutine »
« Nier les liens factuels et légaux qui existent entre l’Etat russe et le groupe Wagner est une façon de diminuer la responsabilité de la Russie dans les crimes commis », affirme Ilya Nuzov, le responsable Europe de l’Est de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
Le seul envoi des « instructeurs » dans le cadre d’un accord bilatéral ne permet cependant pas selon lui d’établir un lien de responsabilité avec l’Etat russe. « Même s’il y a un contrat officiel, ce n’est pas suffisant, il faut montrer que l’Etat russe a un “contrôle effectif” sur le groupe [entraînement, financement et, surtout, qu’ils donnent des directions pour les opérations militaires]. »
L’étau se resserre, pourtant, pour le groupe Wagner au niveau international. La FIDH a récemment porté plainte à Moscou avec deux autres ONG syrienne et russe, pour des crimes commis en Syrie par des employés présumés de Wagner. Et les Etats-Unis, qui soupçonnent Evgueni Prigojine d’être derrière les manipulations des élections américaines de 2016, ont sanctionné en septembre 2020 deux dirigeants de la Lobaye Invest, une société minière russe appartenant à l’oligarque, apparue en Centrafrique au moment de l’arrivée des « instructeurs » , et qui jouerait le rôle d’intermédiaire financier entre le gouvernement et ces derniers.
« Il n’y a jamais eu deux Russies en Centrafrique, il n’y en a qu’une. Tout le monde sait qui est Wagner, tout le monde sait que Prigojine est un proche de Poutine. Où est le mystère ? », résume Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Les Russes ont « fait le job »
A Bangui, la population est cependant reconnaissante aux Russes d’avoir contribué à repousser les attaques de la CPC. Les petits drapeaux blanc bleu rouge aux couleurs de la Russie se vendent comme des petits pains. De grands panneaux publicitaires sur lesquels le « sociologue » Maxim Shugaley, présente les résultats d’un sondage élogieux pour la Russie, réalisé pour le compte de la « Fondation pour la protection des valeurs nationales ». On peut y lire : « Touadéra a changé l’histoire en RCA : 98,2 % » ou encore : « Les Russes ont aidé la RCA : 91,2 % »
« Je ne connais pas ce sociologue », soutient l’ambassadeur Titorenko. En Russie, pourtant, Maxim Shugaley est une star. Un film a été produit sur ses aventures en Libye. Il y aurait passé un an et demi en prison pour avoir tenté de truquer des élections, avant d’être libéré en décembre 2020, contre le versement de 250 000 dollars. Une somme payée par un certain… Evgueni Prigojine.
Dans les milieux diplomatiques à Bangui, on préfère pour le moment jouer la carte de la prudence. Aucune ambassade n’a relayé les inquiétudes concernant ces exactions et à mots couverts, certains s’avouent presque soulagés que les Russes aient « fait le job ». « Ils ont maintenant un bon enracinement en Centrafrique », observe Thierry Vircoulon. Le pays pourrait même jouer désormais un jeu central dans les ambitions russes sur le continent. « Au Mozambique, ça n’a pas fonctionné, au Soudan, ça devient un peu compliqué pour eux (…) en Libye, Haftar a été le mauvais cheval, donc il reste la Centrafrique », souligne le chercheur.
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