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Les fêtes de Pâques ont un goût de larmes cette année au Cameroun. Christian Wiyghan Tumi, l’unique cardinal du pays, est mort samedi 3 avril dans un hôpital de Douala. Le prélat s’était efforcé, ces dernières années, de trouver une solution au conflit qui déchire les régions anglophones de l’ouest. De nombreux fidèles lui ont rendu hommage, dimanche, lors de la messe célébrée à la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Douala.
« Il avait 90 ans. L’âge d’aller se reposer après avoir tant servi le seigneur. Mais j’ai si mal ! Je pensais qu’il allait rester avec nous quelques années encore », sanglote Adèle Ebelle, 42 ans, enveloppée dans une longue robe immaculée. Près d’elle, sa tante Justine regrette « le départ d’un envoyé de Dieu ». « Il y a dix ans, je souhaitais divorcer de mon mari. J’avais même quitté le domicile familial. Le cardinal nous a convoqués et reçus pendant plusieurs semaines. Il nous a réconciliés. C’était un homme extraordinaire », confie cette catholique « très pratiquante ».
Davidson Ateh, lui, « peine à croire que cet homme simple, humble, accessible, est parti ». Lorsque le secrétaire général de l’association des hommes catholiques de la paroisse a lu la nouvelle sur les réseaux sociaux, il a d’abord cru à un poisson d’avril. « On savait que cela allait arriver, mais pas si vite. Je suis très triste. Avec lui, on était sûr d’avoir accès à Dieu », dit-il. « C’est un choc pour moi », indique au Monde Afrique Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala : « Je perds un père. »
« Je suis fédéraliste depuis toujours »
Depuis l’annonce de la mort du cardinal, les hommages affluent du Cameroun et du monde entier : hommes d’Eglise, responsables politiques, diplomates, artistes, fidèles ou simples anonymes. On loue le « prêtre intègre », le « conseiller spirituel », la « conscience » du Cameroun, « l’homme de paix indescriptible »… « Que son départ soit le sacrifice pour que la paix nous revienne », a imploré dans un tweet Akere Muna, ancien candidat à l’élection présidentielle. Depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en 2016, le cardinal Tumi se battait sans relâche pour le retour au calme.
En 2017, lorsque les tensions se transforment en conflit armé entre les séparatistes qui luttent pour l’indépendance de cette partie du pays et les forces de défense et de sécurité camerounaises, le prélat décide d’agir. Dès 2018, celui qui a été archevêque de Douala de 1991 jusqu’à sa retraite, en 2009, réunit autour de lui des leaders religieux et met sur pied une Conférence générale anglophone (CGA). Le but est de trouver une solution définitive à la guerre en organisant un dialogue inclusif entre gouvernement et séparatistes. Mais le pouvoir en place, qui se méfie de ce prêtre qui ne ménage pas ses critiques contre les violations des droits humains et la corruption, n’autorise pas sa tenue.
Christian Wiyghan Tumi a invité plusieurs fois Paul Biya, 88 ans et président du Cameroun depuis 1982, à quitter le pouvoir. Certains soutiens du gouvernement sont allés jusqu’à le traiter de « séparatiste ». Le prélat se disait pourtant « fédéraliste depuis toujours ». « C’est ma conviction », répétait-il au Monde Afrique en mai 2019. De leur côté, les sécessionnistes le soupçonnaient d’accointances avec le gouvernement. Le cardinal avait même été kidnappé, le 5 novembre 2020, pendant vingt-quatre heures dans sa région natale du Nord-Ouest. « Malgré cette brutalité, il n’a jamais été rancunier, souligne Elie Smith, porte-parole de la CGA. Il a toujours prié pour tous. C’était quelqu’un de tolérant qui œuvrait pour la paix. »
Un conflit qui a fait plus de 3 500 morts
A la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, Simone Juong, anglophone originaire du Sud-Ouest, veut croire que la mort du cardinal « un samedi saint est un signe, une grâce de Dieu ». Cette mère de six enfants, réfugiée à Douala depuis 2018, a tout abandonné : ses champs de cacao, sa maison et sa boutique de produits alimentaires. Elle a perdu son frère et deux de ses beaux-frères dans ce conflit qui a déjà fait plus de 3 500 morts et poussé 700 000 personnes à fuir cette partie du pays. « Pour honorer sa mémoire, Paul Biya doit résoudre cette crise. Organiser enfin ce dialogue inclusif avec les séparatistes dont le cardinal voulait tant », souhaite-t-elle.
Le 28 mai 2019, alors que notre entretien tirait à sa fin et que les visiteurs se bousculaient à sa porte, le cardinal avait entonné cette chanson apprise à l’école primaire et qui, disait-il, l’avait « forgé » : « Je jure jusqu’au bout, mon pays/Servir mon pays, au-dessus de moi, mon amour ». « J’aime le Cameroun. C’est l’endroit où je me sens chez moi. Mon seul but est d’y ramener la paix », concluait-il.
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