Une vie dans la finance
C’est un homme courtois et introduit. « Quand je suis arrivé à Paris, André a organisé des dîners pour me présenter , se souvient Thomas Buberl, le directeur général d’Axa – dont André François-Poncet est un des administrateurs. C’était assez rare de trouver une personne aussi bienveillante et attentionnée. » A ces soirées, on croise l’ex-ministre Valérie Pécresse, le général Richard Lizurey, DG de la gendarmerie nationale, ou Michael Zaoui, le banquier du roi du Maroc. Mais « AFP », comme on l’appelle dans le milieu, a dans ses yeux clairs l’inquiétude des managers qui, malgré leur carrière respectable, vont encore devoir prouver leur valeur. Après trente années dans la finance – il a monté et dirigé le bureau parisien de la banque d’affaires américaine Morgan Stanley, puis rejoint le fonds d’investissement BC Partners -, André François-Poncet vient d’être renouvelé, le 9 décembre dernier, pour un deuxième mandat à la tête de Wendel.
Un ménage de fond
Ce financier expérimenté a entre les mains un ancien fleuron du capitalisme français, créé par le maître des forges Jean-Martin Wendel il y a plus de trois siècles. Des aciéries de Hayange (Moselle), cette famille d’industriels s’est tournée vers l’investissement au gré d’une histoire chahutée, marquée par la nationalisation de ses outils de production en 1981. Jusque dans les années 2010, la maison a rayonné par ses investissements flamboyants, portée par son charismatique chef de maison et ex-président du Medef, le baron Ernest-Antoine Seillière.
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Mais la tempête s’abat sur les Wendel en 2009. Un prédécesseur d’André François-Poncet, Jean-Bernard Lafonta, soutenu par le baron Seillière, quitte le navire après s’être octroyé près de 1,8 % du capital du groupe dans des conditions opaques. Autant qui disparaît des mains des 1 100 cousins Wendel (actionnaires à 39,1 % de Wendel via un holding). Le tout en pleine crise financière, après avoir lourdement endetté l’entreprise pour entrer au capital de Saint-Gobain, dont le cours de Bourse s’est effondré, entraînant Wendel dans sa chute. Le successeur, Frédéric Lemoine, un énarque rigide, multiplie les investissements à travers le monde. En dépit de ses bons résultats, c’est trop pour les cousins. Ils ont la sensation de perdre le contrôle.
AFP est arrivé à sa suite pour faire le ménage. Il s’est débarrassé de huit sociétés sur quatorze, dont dernièrement le sud-africain Tsebo, spécialisé dans l’entretien et la maintenance, qui plombait les comptes de la maison. Au nom du recentrage de Wendel, il a rayé de la carte les bureaux internationaux. Il a rafraîchi le management de tête des sociétés. Le cours de Bourse n’en a pas pris acte : l’action Wendel a baissé de 31 % quand le CAC 40 a bondi de 9 % en près de quatre ans. « Son travail de fond sur l’organisation n’est pas reconnu. Remettre de l’ordre, c’est moins glamour qu’investir », regrette Thomas de Villeneuve, membre du conseil de surveillance de Wendel et associé du fonds d’investissement Apax.
Un désert de deals
Pour ceux qui le soutiennent, AFP recule pour mieux sauter. Seulement, cela fait trois ans qu’il promet de se lancer sans oser franchir le pas. « Les belles entreprises sont chères ! » se dédouane-t-il. Sa seule acquisition fut CPI, un organisme de formation dans la prévention de crise en entreprise. Un achat au prix salé (910 millions d’euros), juste avant que sa valeur ne dégringole avec le Covid. Depuis, le désert. « On ne les voit plus sur les deals, » constate un banquier d’affaires. « Les achats de start-up aux multiples d’au moins 20 fois l’Ebitda, ça n’a jamais été son monde », suppute un autre financier. Et l’année 2020 fut plus dure pour Wendel que pour ses rivaux. Son actif net réévalué chute de 4,3 %, à 7,1 milliards d’euros. La société a essuyé une perte nette de 264 millions d’euros. Elle était bénéficiaire de 400 millions en 2019. Pour renverser la tendance, l’investisseur s’est fixé l’objectif de prendre une participation majoritaire dans sept à dix entreprises, avec un ticket d’entrée par investissement entre 150 et 500 millions d’euros.
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Le renouvellement d’André François-Poncet n’a pas plu à certains cousins nostalgiques de l’audace des années Seillière. Contesté, le manager a même envisagé de prendre sa retraite. Après tout, il s’est récemment mis au golf avec sa seconde épouse ; ses travaux pour Axa l’occupent assez. A la dernière minute, il change d’avis. Il sait que son dernier mandat sera son héritage.
« J’aime l’énergie de ce métier, revendique ce passionné de basket, qui, au lycée, avait brièvement espéré une carrière professionnelle avant que sa mère ne le lui interdise. Si, à la fin, je ne participe que de 2 % à l’histoire d’une maison tricentenaire, j’aurais laissé Wendel en ordre et en position de force ».
Une enfance canular
Comme beaucoup de rejetons de la grande bourgeoisie française, AFP et son cadet Alexis ont été élevés par une gouvernante et instruits par un répétiteur. Et s’il vient d’un milieu où l’on préfère les mathématiques, c’est faute d’avoir les notes suffisantes que, lycéen, il se dirige vers les écoles de commerce. Un père de copain de classe, à la tête d’une entreprise de matériel de fixation, La plupart de ses camarades ont passé leur année de prépa en internat. Lui loge au Meurice, le palace de la rue de Rivoli. Façon Eloïse, sa lointaine cousine de fiction, au Plaza de New York. Au menu du soir : steak frites et crème caramel.
L’ancien cancre a gardé de son enfance quelque chose d’étonnant dans les hautes sphères de la finance : le goût du canular. « Un bon poisson d’avril, ça tape dans les angoisses des gens », considère-t-il. Pour piquer un associé, il a un jour emballé une cravate de mauvais goût dans un paquet Hermès, avant de l’offrir à sa victime, confuse. Ses proches le décrivent en fin psychologue, et observateur rigoureux, plus analytique que synthétique. « Il décortique tout, et ne laisse rien au hasard, observe David Darmon, son partenaire au directoire de Wendel. Il prend énormément de notes. A un tel niveau de séniorité, c’est rare. » Et qu’on ne se risque pas à lui soumettre un mémo la veille pour le lendemain ! « C’est quarante-huit heures à l’avance, sinon il ne le lira pas. » Il a pour habitude de fixer des alarmes avant chaque rendez-vous pour être sûr d’être à l’heure.
Des débuts rodéo
Car, aux dires de ceux qui le côtoient, André est un gros travailleur. Son ami californien David Epstein confirme : « Il est doté d’un intellect puissant et vif, et il a un esprit de saine compétition. » Les deux se sont rencontrés sur les bancs de la Harvard Business School, à Boston, en 1982. De cette promotion de 800 élèves, comptant des patrons de banque opulents et des investisseurs de renom, AFP a fini parmi les quatre premiers. « C’est tout André », caractérise son bon copain Bernard Gault, qui a monté la branche londonienne de la banque d’affaires Perella Weinberg. « Même si son grand-père Arthur Sachs est un ancien de Harvard [une bourse pour les étudiants français porte son nom], André n’est pas arrivé en terre conquise. »
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A la sortie de l’université, il reçoit une proposition d’embauche de Goldman Sachs et de Morgan Stanley. Il préfère le concurrent direct au statut d’héritier et revient en France pour lancer l’agence parisienne de la banque. Les débuts sont un rodéo : la banque ne lui donne pas de bureau. Il se revoit, les étés brûlants, dans l’édicule des cabines téléphoniques, en nage dans son costume, glissant des pièces de 5 francs dans l’appareil pour joindre des banquiers répartis dans toute l’Europe.
Depuis, il a conquis une réputation de financier « cash », scrupuleux et exhaustif. Sous sa direction, Morgan Stanley s’est taillé la place de première banque d’affaires en fusions et acquisitions de France. Le manager, connu pour ses rares, mais mémorables, coups de gueule, sait prendre des décisions difficiles. En 2008, alors chez BC Partners et chargé de Picard Surgelés, il évince le fils du fondateur avant de revendre l’entreprise à Lion Capital pour 1,5 milliard – avec une plus-value de 400 millions d’euros. De ce deal, AFP a gardé une tendresse pour le distributeur de plats surgelés et l’habitude de déjeuner sur le pouce de barquettes Picard.
Le code des Wendel
En arrivant chez Wendel, André François-Poncet a refusé d’avoir un chauffeur. « Je voulais envoyer le message que je traiterai l’argent de Wendel comme s’il s’agissait du mien », confie-t-il. Depuis le départ de Jean-Bernard Lafonta, le conseil de surveillance se méfie de ses managers non familiaux. Il a fallu choisir un ami de toujours du chef de maison actuel, Nicolas ver Hulst, pour que le clan retrouve le calme. Reste que le conseil préfère la prudence à l’action. Et par là, aussi, le manager est limité dans ses ambitions.
« André comprend et partage nos valeurs », affirme Priscilla de Moustier, présidente de Wendel Participations, le holding familial du fonds. AFP rassure les Wendel parce qu’il leur ressemble. Comme eux, il connaît à la fois le prestige et le poids d’une mythologie dynastique. Il hérite son prénom de son grand-père paternel, ambassadeur à Berlin et à Rome dans les années 1930. Ennemi de Hitler, il fut l’un des premiers à alerter, en vain, le gouvernement d’Albert Sarraut contre ses sombres ambitions. Enfant, le petit André apprenait des poèmes à la gloire de « bon-papa ».
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« C’était un peu pesant », reconnaît celui qui n’a pas transmis les prénoms de ses ancêtres à ses trois fils. Comme les Wendel, il maîtrise les codes de la finance et de la vie en société. « Il a une fortune personnelle importante », rapporte une proche. Il ne les pillera pas. Avec sa rémunération fixée à 2,5 millions d’euros en 2019, il se situe dans la moyenne haute des postes de son calibre.
En cette journée de fin d’hiver, la lumière du soleil joue avec les longs miroirs aux murs. « On recherche des locaux plus centraux et plus fonctionnels », marque AFP. L’ex-banquier est exaspéré par ces décors d’un ancien monde. Les couloirs ministériels et les lourds tapis crème ne siéent pas à l’ambiance énergique d’un fonds. Il ressent le besoin urgent de déménager. Sa nouvelle feuille de route lui impose de réinventer Wendel. La transhumance n’y suffira pas.
IL AIME
Les canulars téléphoniques de la radio Rire et Chansons.
La loyauté.
Marcel Proust. Les frères Coen.
La variété française des années 1980.
IL N’AIME PAS
La suffisance.
La cuisine fusion.
Les signes extérieurs de richesse.
Sortir tard le soir.
Etre pris en photo.
DESTIN TRACÉ
1959 – Naît à Paris.
1977 – Admis à HEC.
1982 – Admis à la Harvard Business School.
1984 – Manager chez Morgan Stanley.
2000 – Partner chez BC Partners.
2015 – Auditeur à l’IHEDN.
2018 – Nommé président du directoire de Wendel.
Décembre 2020 – Renouvelé par la famille Wendel.
Portrait André François-Poncet, photographié au siège de Wendel, à Paris IXe , le 26 mars, par Bruno Levy pour Challenges.
André François-Poncet à 11 ans à Deauville, après un match de tennis.
En 1984, lors de sa remise de diplôme de la Harvard Business School, aux Etats-Unis. Il est avec son ami Terrence Barber et son fils, Jabu, et sa mère Machiko.
En 1999, à la une de BusinessWeek. Le financier est salué pour avoir boosté la banques d’affaires Morgan Stanley.
En 2016, au centre gauche, avec ses amis de jeunesse autour de lui, lors de son second mariage. On retrouve David Epstein, centre droit, et Terrence Barber, à côté de David.
En 2019, avec l’équipe de Bureau Veritas, à New York. Le cabinet d’expertise et de certification fondé en 1828 est un actif historique essentiel de Wendel, qui détient 35,8 % de son capital.
En février 2021, avec David Darmon, directeur général adjoint de Wendel, à Paris. Embauché par Ernest-Antoine Seillière, prédécesseur d’André François-Poncet, il y a seize ans, David Darmon a été rapatrié du bureau new-yorkais en 2019 pour dynamiser l’équipe parisienne et rejoindre le directoire. (A. Doyen/SP Wendel)
Ce qu’ils disent de lui
Thomas Buberl, directeur général d’Axa : « C’est une personne très intelligente et loyale, avec une précision opérationnelle et stratégique. Il ose dire les choses qui ne vont pas et aime trouver des solutions. »
François de Mitry, managing partner d’Astorg : « C’est quelqu’un de prudent dans la sélection de ses investissements. »
Un membre de la famille Wendel : « Il est très proche du président du conseil de surveillance de Wendel, Nicolas ver Hulst. Il n’y a pas de conflit créateur d’idées nouvelles. La gouvernance reste dans sa zone de confort. »
Catherine Soubie, directrice générale d’Arfilia : « Il s’intéresse authentiquement aux gens. Il aime comprendre ce qui les fait réagir et ce qui est important pour eux. »
Un banquier : « Sous sa houlette, Wendel n’est pas connu pour jouer dur. »
Un investisseur : « C’est une personnalité très anxieuse. L’audit lui conviendrait mieux que l’investissement. »
François de Wendel, ancien président du conseil de surveillance du fonds d’investissement Wendel : « C’est un esprit doté d’un fort sens moral et de responsabilité. »
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