Malgré des déboires judiciaires et une bien piètre réputation il y a encore dix ans, le discounter allemand Lidl se renforce inexorablement en France, misant sur une stratégie de prix sans concession et une volonté de changer d’image qui semble inspirer son grand rival, Aldi.
Mardi 9 février, les négociations qui opposent chaque année en France supermarchés et industriels sur les prix, battent leur plein. Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie décide d’aller sonder « les pratiques commerciales » d’une enseigne qui se pose depuis plusieurs années en défenseur des agriculteurs français.
Carrefour, « premier employeur privé » de France? E.Leclerc, leader des parts de marché nationales? Non, Lidl, distributeur allemand ne pesant « que » 6,4% de la distribution alimentaire en France.
Le commerçant peut fanfaronner: « les pratiques responsables de Lidl saluées par Julien Denormandie », se réjouit-il. Sacré contraste avec le début de la décennie 2010, quand on s’est dit, au sein de l’entreprise, « que si on ne changeait pas de modèle, on allait dans le mur », selon Michel Biero, le directeur exécutif des achats de Lidl France.
2011 est en effet une année noire pour ce qui est alors un « hard discounter », implanté en France depuis 1989: une quinzaine d’enfants sont victimes d’une grave intoxication alimentaire après avoir mangé des steaks hachés achetés chez Lidl. Le plus sérieusement touché, Nolan, est décédé en septembre 2019 à 10 ans des séquelles de son intoxication.
Le fournisseur a depuis été condamné à de la prison ferme, et, si Lidl n’a pas été inquiété par la justice, il a décidé de « sortir de ce modèle ».
L’enseigne continue à se poser en « défenseur du pouvoir d’achat », explique encore Michel Biero, mais « en mettant de la qualité », et en misant sur un assortiment réduit: 1.700 produits référencés, contre parfois 80.000 références pour un hypermarché.
« Lidl progresse beaucoup en terme de parts de marché », observait récemment auprès de l’AFP Frédéric Valette, directeur du service Distribution de la société de données de marché Kantar.
Notant que « le consommateur français adore l’opportunité », l’entreprise multiplie les coups marketing, proposant par exemple « 52 semaines thématiques alimentaires » avec un assortiment spécial, par exemple espagnol.
Le distributeur va pouvoir s’appuyer sur sa présence internationale (plus de 11.200 magasins dans 32 pays) pour réduire, là encore, les coûts: « je n’ai qu’à appeler mon homologue espagnol, les prix sont négociés, le contrat validé, il n’y a qu’à commander les volumes nécessaires à la France », expose Michel Biero.
Lidl, dont la force de frappe financière n’est pas négligeable puisque le groupe Schwarz, sa maison-mère, est le 4e plus gros groupe de distribution dans le monde selon le cabinet Deloitte, a également investi beaucoup d’argent dans la rénovation de ses magasins.
Il en compte aujourd’hui quelque 1.550 en France, et vient de reprendre son expansion, ciblant notamment l’ouest et le sud-est.
Non sans buter sur quelques obstacles, notamment judiciaires. Le magazine Capital a révélé que l’enseigne avait été condamnée à 3,7 millions d’euros d’amende, pour des publicités jugées trompeuses.
Lidl fait aussi l’objet de procédures judiciaires dans plusieurs pays européens pour « violations de brevets ». Vorwerk, le fabricant du Thermomix, a observé de troublantes similitudes avec l’un des produits phares de Lidl, le robot-cuiseur « M. Cuisine ». L’enseigne allemande a été condamnée pour contrefaçon par un tribunal de Barcelone fin janvier.
L’enseigne allemande est aussi surveillée de très près pour ses pratiques sociales. En février, une plateforme logistique de Lidl en Bretagne a été perquisitionnée, dans le cadre d’une enquête pour harcèlement.
En 2008 et 2009, Lidl avait été secoué par des scandales d’espionnage interne en Allemagne. Installation de caméras, embauche de détectives privés, collecte d’information sur la santé des salariés: le groupe a reconnu les faits et payé de lourdes amendes.
En France, Lidl voit désormais dans son rétroviseur un concurrent bien connu: Aldi, autre allemand influent (8e groupe mondial, selon Deloitte) qui a racheté fin 2020 545 magasins Leader Price au groupe Casino. Le groupe comptait avant cette intégration un peu plus de 850 magasins.
« Ils vont bien densifier leur réseau », note Laurent Thoumine, directeur exécutif d’Accenture France et Benelux, alors que les conséquences économiques de la crise sanitaire laissent imaginer « une forme de paupérisation de la consommation française ». « Compétiteurs féroces », selon ce spécialiste de la distribution, les deux enseignes auront bientôt une « taille significative » en France.
Aldi suit pour le moment le chemin de Lidl, ciblant une audience jeune et connectée, insistant sur « ses engagements en faveur des produits frais, locaux et responsables » ou annonçant récemment s’engager « en faveur de la filière laitière ».
Pour l’instant toutefois, Aldi, crédité de 2,4% de parts de marché en 2020, n’a pas encore reçu la visite du ministre de l’Agriculture.
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