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Archegos : comment un obscur fonds spéculatif a fait trembler Wall Street

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Des banques d’investissement parmi les plus importantes au monde ont reconnu lundi que les paris risqués d’Archegos, un fonds spéculatif de gestion de patrimoine, leur ont coûté des milliards de dollars. Cette nouvelle affaire qui ébranle Wall Street illustre les dangers du goût pour le risque qui anime les investisseurs depuis plus d’un an.

Son nom est une référence biblique. En grec ancien, il signifie prince, dirigeant ou chef et peut désigner le Christ. Mais le fonds d’investissement Archegos n’a rien d’un sauveur. Ce « family office », c’est-à-dire un gestionnaire de patrimoine de plusieurs familles fortunées, est à l’origine d’un nouveau tremblement de terre financier, qui a fait perdre des milliards à plusieurs banques de premier plan depuis le 26 mars et pourrait causer davantage de dégâts encore dans les jours à venir. Après l’affaire GameStop, les déboires s’accumulent. 

Le choc s’est produit en fin de semaine dernière, lorsque des établissements financiers ont commencé à vendre en masse des actifs d’une petite dizaine d’entreprises. En tout, la banque japonaise Nomura, le Crédit Suisse ou encore Goldman Sachs et Morgan Stanley ont écoulé pour 20 milliards de dollars d’actions d’entreprises, comme le géant américain des médias ViacomCBS, le groupe internet chinois Baidu, ou encore la chaîne Discovery, entraînant un plongeon boursier de ces valeurs.

Opacité financière

L’ampleur de la débâcle a commencé à se faire jour lundi, lorsque Nomura, première banque d’investissement japonaise, a reconnu qu’elle avait perdu 2 milliards de dollars dans l’affaire, tandis que le Crédit Suisse affirmait que les pertes seraient probablement « importantes ». Elles pourraient atteindre entre 3 et 5 milliards de dollars, d’après le Financial Times. Et ce n’est pas fini : la banque UBS et d’autres devraient encore continuer à se délester d’actions dont le cours dégringole.

Les régulateurs boursiers américains, suisses et japonais ont commencé à se pencher sur l’affaire, a rapporté le quotidien britannique The Guardian mardi 30 mars. Leur principale tâche consistera à comprendre comment ces géants de la finance se sont retrouvés dans un tel tumulte. Mais le point commun est connu : un obscur gestionnaire de patrimoine, Archegos, dirigé par Bill Hwang, un financier américain au passé trouble. Accessoirement, souligne le Wall Street Journal, les régulateurs boursiers chercheront aussi à établir comment ce fonds a pu miser 40 milliards de dollars en passant presque inaperçu.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Archegos, fondé en 2013, disposait de 10 milliards de dollars et a, pourtant, investi quatre fois plus en Bourse dans une dizaine d’entreprises. Pour ce faire, Bill Hwang a eu recours à un mécanisme financier somme toute assez classique : l’effet de levier. En mettant ses propres milliards sur la table, il a convaincu plusieurs banques de lui prêter le reste pour mener à bien ses investissements.

Mais Bill Hwang l’a fait de manière discrète. Au lieu d’acheter directement les actions des sociétés ciblées, Archegos a investi dans des dérivés, c’est-à-dire des produits financiers adossés à ces titres cotés. En l’occurrence, et pour schématiser, les banques achetaient les actions, et Archegos touchait une partie des gains si leur valeur augmentait, et devait payer pour couvrir les pertes si ces titres chutaient.

Par l’odeur des commissions alléchées

L’avantage, c’est que ces dérivés « sont soumis à moins de règles déclaratives », souligne Alexandre Baradez. Une certaine opacité qui permet, par exemple, d’avancer masqué lorsqu’on cherche à prendre le contrôle discrètement d’une société cotée. C’est ainsi, notamment, que le géant du luxe français LVMH avait procédé pour acquérir, petit à petit, des parts dans Hermès lors de sa tentative infructueuse pour faire main basse sur la célèbre marque au début des années 2010. C’est aussi une manière de ne pas révéler publiquement l’ampleur des risques pris, puisqu’on apparaît pas comme l’acquéreur des actions. 

D’où la surprise lorsque ce voile d’opacité se déchire. Dans l’affaire Archegos, le déclencheur a été la chute de l’action ViacomCBS, l’une des principales valeurs dans le portefeuille du fonds de Bill Hwang. Les banques ont demandé à Archegos de remettre au pot pour s’assurer qu’il était en mesure de rembourser si les pertes venaient à se creuser. Mais le fonds n’en avait plus les moyens, ce qui a déclenché l’emballement des institutions financières qui se sont délestées des titres acquis pour le compte de Bill Hwang.

« Il est clair qu’il y a des banquiers qui ont pris beaucoup de risques dans cette affaire », reconnaît Alexandre Baradez. Leur générosité envers Bill Hwang peut sembler d’autant plus étonnante que ce financier a été reconnu coupable de délits d’initié en 2012 alors qu’il s’occupait des marchés financiers pour le célèbre fonds spéculatif Tiger Management Fund. Théoriquement, « cela aurait dû le mettre au ban de la communauté des investisseurs », note le Financial Times.


Et pendant un temps, cela a été le cas. Goldman Sachs, par exemple, n’a commencé à faire de nouveau affaire avec lui que l’an dernier, note le FT. Si les banques ont succombé les unes après les autres, plus ou moins rapidement, à Bill Hwang, c’est en partie à cause de sa réputation de « génial faiseur d’argent », d’après une note d’investisseur consulté par le quotidien financier britannique. Il a fait passer les fonds d’Archegos de 900 millions de dollars à 10 milliards en sept ans. La tentation de travailler avec ce « Midas » boursier peut l’emporter sur les réticences tant les commissions sont élevées à chaque fois qu’un banquier prête de l’argent à un fonds spéculatif ou passe un ordre pour son compte.

D’autres affaires Archegos en perspective ?

En outre, « le marché n’a pas manqué de liquidités ces dernières années, sous l’impulsion des injections d’argent des Banques centrales, et les institutions financières ont cherché de plus en plus d’opportunités pour placer leur argent », rappelle Alexandre Baradez. Comme, de plus, Wall Street n’en finissait pas de battre des records jusqu’à récemment, les institutions financières ont pris de plus en plus de risques, voyant qu’ils semblaient tous payants.

C’est en cela que l’affaire Archegos peut inquiéter. En tant que tel, « il ne s’agit que d’un cas isolé de ‘family office’, et même si les montants en jeu peuvent paraître élevés, ils sont faibles par rapport aux fonds dont disposent ces banques », relativise Alexandre Baradez.

Mais la facilité avec laquelle ces grandes institutions financières ont répondu présent aux risques démesurés de Bill Hwang amène à se demander combien d’autres affaires Archegos sont sur le point d’éclater. Surtout, maintenant que les beaux jours boursiers semblent révolus. 

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