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Face à la flambée épidémique en France, le gouvernement vient d’autoriser plusieurs nouvelles professions à pratiquer la vaccination contre le Covid-19. Parmi elles figurent les vétérinaires, qui estiment avoir jusqu’ici été peu considérés, malgré une connaissance toute particulière des coronavirus. Entretien.
Après des débuts difficiles marqués par des pénuries de doses, la campagne de vaccination contre le Covid-19 doit passer “un premier cap mi-avril », a promis Emmanuel Macron, avec l’arrivée de plusieurs millions de doses sur le territoire français.
Sous pression face à la forte progression de l’épidémie, le gouvernement mise sur l’ouverture de vaccinodromes afin d’atteindre l’objectif des 30 millions de vaccinés à la fin du mois de juin. Dans ce contexte, l’État a autorisé, samedi 27 mars, plusieurs nouvelles professions à participer à la campagne vaccinale nationale, dont les vétérinaires.
Très actifs depuis le début de l’épidémie en France, les professionnels de la santé des animaux estiment néanmoins avoir eu bien du mal à se faire entendre durant cette année de crise sanitaire. France 24 fait le point avec Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.
France 24 : Le décret permettant aux vétérinaires de pratiquer la vaccination vient de paraître, pouvez-vous nous expliquer en quoi consistera votre participation ?
Jacques Guérin : Les vétérinaires volontaires vont pouvoir s’inscrire sur une plateforme pour participer à l’effort de vaccination contre le Covid-19. Cette participation se fera uniquement dans des centres, et sous supervision d’un médecin. Il faut comprendre que nos professionnels ont l’habitude de vacciner mais que cet acte ne se résume pas au simple fait d’injecter. Il y a une consultation prévaccinale et une surveillance postvaccinale qui doivent être encadrées de manière très stricte. Nous serons déployés sur les vaccinodromes, où le gouvernement prévoit de vacciner massivement, sur des plages horaires étendues, et où le besoin en personnel sera le plus important.
Si les vétérinaires sont heureux de participer à ce processus dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons, la profession répond avant tout à une demande du gouvernement. Nous estimons à 25 000 le nombre de vétérinaires aptes à pratiquer la vaccination en France, c’est un chiffre très faible rapporté au 1,2 million de professionnels de santé qui peuvent remplir cette tâche. Notre participation est donc avant tout symbolique car ce n’est pas le nombre qui fait notre force dans cette crise.
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en France, vous avez à plusieurs reprises proposé votre aide au gouvernement. Quel a été le soutien de la profession dans le cadre de la crise sanitaire ?
Le premier apport de la profession a été le soutien logistique. En mars 2020, avec la montée de la pandémie, les soignants se sont vite retrouvés en pénurie de vêtements de protection. Nous avons alors fait don d’importants stocks de blouses, de charlottes ou bien encore de masques pour pallier les besoins. Nous avons également mis à disposition nos respirateurs d’anesthésie, nos monitorings (appareils de mesure du rythme cardiaque, NDLR) ainsi que nos concentrateurs d’oxygène, particulièrement utiles dans les Ehpad qui n’étaient pas suffisamment médicalisés pour avoir à disposition des sources d’oxygène.
Cette collaboration s’est faite à l’échelle des régions grâce au système D, car le ministère de la Santé n’a pas répondu à nos sollicitations. En France, la médecine animale dépend du ministère de l’Agriculture et n’a pas accès au ministère de la Santé. Le stigmate qui consiste à penser que, parce que nous soignons des animaux, nous pratiquons une médecine du Moyen-Âge est encore très présent et a été un réel problème dans la gestion de cette crise.
Alors que nous avions tout le matériel nécessaire pour pratiquer des tests PCR à grande échelle et analyser les résultats au sein de nos laboratoires, les barrières administratives et les réticences du corps médical nous ont fait perdre plusieurs mois. À ma connaissance, certaines propositions, comme celles des laboratoires vétérinaires de fabriquer du gel hydroalcoolique, n’ont jamais obtenu de réponses du ministère de la Santé.
Outre une aide logistique importante, les vétérinaires sont intervenus à bas bruit pour rassurer leurs clients sur les risques liés aux animaux de compagnie et d’élevage, et prodiguer des conseils sanitaires. S’il n’y a pas en France de risque particulier de transmission animale avec le Covid-19, très peu d’informations ont circulé à ce sujet et les vétérinaires ont joué un rôle pédagogique important pour rassurer et éviter les abandons d’animaux dans ce contexte anxiogène.
Un an après la création du Conseil scientifique autour du président de la République, un vétérinaire a intégré ce groupe. Quelle expertise apporte la médecine animale ? Cette nomination marque-t-elle, selon vous, un changement de cap ?
Tout d’abord, les vétérinaires ont la charge de plusieurs espèces parmi lesquelles des maladies contagieuses circulent – et notamment des coronavirus. À ce titre, ils sont attentifs aux signaux faibles de contamination et savent gérer des situations épidémiques de masse en utilisant le dépistage, l’isolation et la vaccination si nécessaire. Bien sûr, cela ne fonctionne pas toujours, comme on a pu le voir avec la grippe aviaire notamment, et il ne s’agit pas ici de se comporter en donneurs de leçons, mais la médecine animale est très réactive sur les mesures d’isolement et les gestes barrières, qui étaient jusqu’ici largement méconnus de la population générale.
Bien sûr, il existe de grosses différences, sur la question du consentement par exemple, qui n’existe pas dans notre pratique, ou bien l’option de dernier recours que constitue l’abattage, inenvisageable dans la médecine humaine. Pour autant, ce débat sur le vaccino-scepticisme nous est apparu très décalé de la réalité alors que la balance bénéfice-risque ne laissait aucun doute sur l’importance de vacciner massivement et rapidement.
En plus d’une expertise sur la gestion de crise, les vétérinaires mènent un travail de long cours sur les épidémies d’origine animale. En 2000, la profession a lancé l’initiative internationale One Health, dont le but est de créer un réseau de surveillance de pathogènes émergents pour préparer et mieux appréhender les prochaines « guerres épidémiques ». C’est un sujet crucial car 70 % des maladies humaines viennent du réservoir animal et la destruction de l’habitat sauvage accentue le risque de transmission inter-espèces ainsi qu’à l’Homme. Pourtant, jusqu’ici, ce programme intéressait très peu la médecine humaine.
Nous espérons que l’arrivée d’un vétérinaire au sein du Conseil scientifique va contribuer à faire évoluer l’approche actuelle, centrée quasi exclusivement sur la saturation des services de réanimation, vers une réflexion plus globale et inclusive du problème. Cette démarche doit par ailleurs s’accompagner de réformes structurelles. On favorise la biologie humaine alors que la biologie vétérinaire est déconsidérée ; notre apport a été largement sous-estimé dans cette crise sanitaire. Il faut décloisonner ces domaines et reconnaître leur complémentarité, pour prévenir et faire face efficacement aux épidémies futures.
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