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Libye : à Tarhouna, de nouveaux charniers découverts après les années de terreur de la fratrie al-Kani

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Publié le : 25/03/2021 – 18:20

 Tarhouna, les habitants n’en finissent pas de compter leurs morts. Dix mois après le retrait des forces loyales au général Khalifa Haftar de cette ville située à 80 kilomètres à l’est de Tripoli, des charniers sont encore découverts, où ont été ensevelis nombre d’habitants victimes de la folie meurtrière d’une fratrie issue de la région, les al-Kani, qui a fait régner la terreur sur la ville pendant cinq ans. Notre Observateur est toujours sans nouvelles de ses sept cousins enlevés fin 2019.

Tarhouna a été prise par les troupes de l’Armée nationale libyenne (ANL) menée par le maréchal Khalifa Haftar le 4 avril 2019. L’homme fort de l’Est libyen, qui rêvait de prendre le contrôle du pays entier, s’est servi de la ville comme base arrière pour lancer son offensive contre la capitale Tripoli. Elle a été reprise, le 5 juin 2020, par les forces loyales au Gouvernement d’union nationale (GNA).

Mais la ville vivait déjà sous la terreur depuis 2014. Les frères al-Kani y faisaient enlever, torturer, tuer, disparaître, tous ceux qui s’opposaient à eux, contestaient leur présence ou étaient considérés comme y étant opposés. Omnipotente, la milice « contrôlait tous les aspects de la vie », estime Human Rights Watch. Au moins 338 habitants de Tarhouna ont été portés disparus selon l’Autorité publique chargée de la recherche et de l’identification de personnes disparues, rapporte encore Human Rights Watch.

A partir de 2019, la milice s’allie aux troupes du maréchal Haftar. Mais elle ne survit pas à la reprise de la ville par des forces loyales au GNA, en juin 2020. C’est à partir de là que les autorités commencent à mettre au jour les charniers où les victimes ont été ensevelies.

Contacté par la rédaction des Observateurs, le président de l’association des victimes de Tarhouna, Abdelhakim Abou Naama, indique que 43 charniers ont été découverts à ce jour, tandis que plus de 200 cadavres ont été exhumés. Seulement 50 d’entre eux ont été identifiés et rendus à leurs proches.

Les frères al-Kani, Mohammed Khalifa, le chef, Abdelkhaleq, Mouammar et Abdulrahim, eux, se sont enfuis. Un cinquième frère, Muhsen, a été tué en septembre 2019.

Mohamed َJaaca, 31 ans, habite à Sidi El Saïd, un village près de Tarhouna. Il cherche ses sept cousins toujours portés disparus.

« Cette milice enlevait et tuait pour un oui ou pour un non »

Mes sept cousins ont disparu, mais on a toujours espoir de les retrouver vivants. Les sept ont été kidnappés à leur domicile, le 19 novembre 2019, vers minuit. La milice a pris leurs voitures, leur argent. On a entendu dire qu’ils avaient été emmenés dans une prison de la ville d’al-Qadia. Nous ne connaissons pas la raison exacte de leur enlèvement. Cette milice enlevait et tuait pour un oui ou pour un non.

L’un deux s’appelle Rabi Ali Khalifa, nous sommes très proches tous les deux, comme des frères.

Montage photo montrant les sept cousins disparus de Mohamed Jaaca.
Montage photo montrant les sept cousins disparus de Mohamed Jaaca.
Montage photo montrant les sept cousins disparus de Mohamed Jaaca. © Mohamed Jaaca

Des corps sont retrouvés presque toutes les semaines. Mercredi [24 mars], les membres de la famille d’un ami très proche, Abdelkrim, ont été retrouvés dans une fosse commune. La milice des al-Kani les avait accusés d’avoir fourni des informations au gouvernement de Tripoli sur les positions des forces de Haftar à Tarhouna. Il s’agit de mon ami Abdelkrim, son père et ses deux frères. Ils seront enterrés ce vendredi [26 mars].

En général, les victimes sont identifiées par leurs familles. Les corps sont transportés vers la morgue de l’hôpital universitaire de Tripoli. Il y a aussi une salle où sont exposés leurs effets personnels, vêtements, bijoux, pour permettre aux familles de les identifier par ce biais.

L’hôpital utilise également l’analyse ADN pour identifier les victimes, mais cette pratique n’est pas généralisée.

Analyse ADN pratiquée sur un cadavre exhumé à Tarhouna, le 15 mars, à l’hôpital universitaire de Tripoli.
Analyse ADN pratiquée sur un cadavre exhumé à Tarhouna, le 15 mars, à l’hôpital universitaire de Tripoli.
Analyse ADN pratiquée sur un cadavre exhumé à Tarhouna, le 15 mars, à l’hôpital universitaire de Tripoli. © Facebook

Les fosses communes ont été mises au jour grâce aux témoignages des habitants et des rescapés. La plupart de ces charniers ont été découverts dans des terrains vagues dans une zone appelée Machrou Al Rabt, à une dizaine de kilomètres de Tarhouna.

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Parmi les corps retrouvés, il y a aussi des femmes et des enfants. En janvier, douze membres d’une même famille, les M’dich, ont été enterrés par leurs proches. Il y avait parmi eux deux femmes.

 Dans un rapport de novembre 2020, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) évoquait des informations « fiables » selon lesquelles « des forces de Tarhouna affiliées à l’ANL auraient commis des crimes graves, dont des meurtres, des enlèvements [et] des disparitions forcées… », rapporte Human Rights Watch.

Enterrement de douze membres de la famille M’dich, en janvier 2021.
Enterrement de douze membres de la famille M’dich, en janvier 2021.
Enterrement de douze membres de la famille M’dich, en janvier 2021. © Internet

Le gang des al-Kani avait pris le contrôle de Tarhouna depuis 2014, y semant la peur parmi les habitants. Ils aimaient parader dans la ville avec des lions et des tigres pour terrifier les gens.

Mais quand le maréchal Haftar a pris possession de la ville fin 2019, ils se sont ralliés à ses troupes, et les enlèvements et meurtres se sont multipliés, surtout contre les grandes familles, car considérées comme des sympathisants du gouvernement de Tripoli.

Abdulrahim est le personnage le plus terrifiant. On le surnommait « la main de fer ». Il tuait de sang froid et sans aucune raison. Il tuait pour un simple regard qui ne lui plaisait pas. Il a été gravement blessé à l’œil en décembre 2019. Il est parti se soigner à l’étranger, mais il est quand même revenu semer la terreur dans la ville jusqu’en juin 2020.

Abdulrahim al-Kani en train de poser avec ses deux tigres.
Abdulrahim al-Kani en train de poser avec ses deux tigres.
Abdulrahim al-Kani en train de poser avec ses deux tigres. © Facebook
Muhsen al-Kani, frère de Abdulrahim, tué en septembre 2019.
Muhsen al-Kani, frère de Abdulrahim, tué en septembre 2019.
Muhsen al-Kani, frère de Abdulrahim, tué en septembre 2019. © Internet

En juin 2020, le procureur de Tripoli a lancé un mandat d’arrêt contre la fratrie al-Kani et une vingtaine de ses acolytes.

Longtemps minée par les conflits et déchirée entre deux autorités rivales, un Gouvernement d’union nationale basé dans l’Ouest à Tripoli et reconnu par l’ONU, et un pouvoir incarné par Khalifa Haftar à l’est, la Libye a un nouveau gouvernement d’union depuis le 15 mars. Incarné par Abdelhamid Dbeibah, Premier ministre par intérim, ce gouvernement remplace les deux entités rivales et est censé unifier le pays.

Les habitants y voient une opportunité pour faire toute la lumière sur les crimes commis par la fratrie al-Kani. Mohamed poursuit : 

« Nous avons demandé au nouveau gouvernement de mener des enquêtes sérieuses pour retrouver cette fratrie et les traduire devant la justice. Nous souhaitons que ces gens parlent et disent où sont enterrées les victimes et où sont les disparus. Nous voulons un processus de justice transitionnelle : un procès, que la vérité site, et des réparations pour les victimes et leurs familles. »

 

 

Source

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