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La suspension temporaire du vaccin d’AstraZeneca par plusieurs pays de l’Union européenne, considérée comme une victoire par de nombreux antivaccins, l’aurait presque fait oublier : deux jours plus tôt, c’est pour un autre succès symbolique, bien plus contestable toutefois, que ceux-ci se félicitaient.
La Cour pénale internationale (CPI, dit tribunal de La Haye) aurait jugé recevable une plainte – en réalité une communication, c’est-à-dire un signalement de suspicion de crime de droit international, dont la CPI peut se saisir – pour « violation du code de Nuremberg par le gouvernement israélien ». Signée des avocats israéliens Ruth Makhacholovsky et Aryeh Suchowolski, elle estime que la vaccination de masse avec le vaccin de Pfizer-BioNtech relève d’une « expérience médicale », qui outrepasse « le consentement éclairé » des citoyens, deux piliers du code de Nuremberg, et réclame un « arrêt immédiat » de son utilisation.
Très partagée sur les réseaux sociaux depuis sa reprise par FranceSoir le 13 mars, cette action en justice n’a en réalité que très peu de fondements juridiques. Mais le coup de communication, lui, est réussi. Explications.
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Qu’est-ce que le code de Nuremberg ?
Le code de Nuremberg est un ensemble de principes d’éthique médicale qui ont été définis en marge du procès de Nuremberg, lors du jugement des criminels de guerre nazis de classe B (scientifiques et médecins). Il établit notamment une liste de dix critères permettant de rendre des expérimentations sur des humains acceptables. Parmi ceux-ci, le consentement éclairé du citoyen, l’existence d’un bénéfice pour la société, ou encore la prudence.
Contrairement à ce que son nom indique, il n’a pas été rédigé lors du procès de Nuremberg – consacré aux criminels de classe A – mais lors des procès des criminels de classe B par le tribunal militaire américain. Il a surtout une valeur symbolique, estime Muriel Ubéda-Saillard, professeure agrégée en droit public, directrice du master 2 justice pénale internationale à l’université de Lille :
« Il est intéressant parce qu’à ce moment les juges américains prennent conscience de la dimension éthique qu’il faudrait imposer au progrès médical et à la science – car ces expérimentations se déroulaient au nom de la science, mais sans le consentement des sujets, qui étaient internés dans des camps de concentration. »
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A-t-il une valeur juridique supérieure à celle du droit national de la santé ?
Non, et pour cause : il s’agit d’un ensemble de principes éthiques recommandés mais pas d’un texte de loi à proprement parler. « Ce qu’on appelle “code de Nuremberg”, ça n’existe pas », balaye Bérangère Taxil, professeure de droit international à l’université d’Angers : ces principes « ont été sortis de la jurisprudence sur les crimes contre l’humanité. C’est une construction de l’éthique de la santé par les médecins eux-mêmes. Mais [d’un point de vue juridique] il n’y a pas de texte, pas de code ». Il ne fait d’ailleurs partie d’aucun corpus de règles juridiquement contraignantes en droit international, et n’a pas plus de poids légal en France qu’en Israël.
En matière de santé, il existe bien un texte supranational ayant une valeur juridique contraignante, mais il s’agit de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dite « convention d’Oviedo », entrée en vigueur en 1999. Elle s’applique aux vingt-neuf pays qui l’ont ratifiée, dont font partie la plupart des pays européens et les grandes puissances occidentales, mais pas Israël. Pour le reste, le droit national prévaut.
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Quand bien même il aurait une valeur juridique, serait-il applicable à des campagnes de santé publique ?
Non, estime Stéphanie Dagron, professeure de droit à l’université de Genève, spécialiste du droit international, européen et national de la santé : « Il ne s’agit pas d’une expérience ou d’un essai clinique. Les vaccins utilisés ont reçu une autorisation de mise sur le marché, même si une procédure accélérée a été utilisée. »
La seule question légale, à son sens, concerne plutôt la protection des données de santé des citoyens, qui sont en partie transmises à Pfizer.
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Est-il vrai que la plainte a été jugée « recevable » par la CPI ?
Non. Cette affirmation très largement reprise mi-mars est erronée : la CPI a simplement envoyé un accusé de réception, comme elle le fait pour le millier de communications qui lui sont envoyées chaque année, précise l’institution, citée par Libération. FranceSoir a, depuis, corrigé son article.
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Quelles sont les chances que la CPI juge vraiment la plainte recevable ?
Pour Stéphanie Dagron, celles-ci sont « nulles », la vaccination ne faisant pas partie de la juridiction de la cour. « La CPI est compétente pour les crimes les plus graves qui soient, tels que l’élimination d’un peuple entier – un génocide – ou des crimes de guerre tels que massacrer des civils, ou l’enrôlement forcé des enfants-soldats, et des actes de persécution systématiques. On est loin du compte », confirme Bérangère Taxil.
Du reste, sauf intervention du Conseil de sécurité des Nations unies, la CPI n’est compétente que si l’Etat suspecté d’être l’auteur ou le théâtre de crimes de droit international est signataire du statut de Rome à son origine, ce qui n’est pas le cas d’Israël.
« En revanche, nuance Muriel Ubéda-Saillard, il en va différemment des actes commis dans les territoires palestiniens occupés, car la Palestine est partie au statut de Rome, et d’ailleurs la situation fait actuellement l’objet d’une enquête par le bureau du procureur. » Mais pas en raison de la vaccination, dont l’Etat hébreu a exclu les résidents palestiniens, arguant qu’en vertu des accords de paix d’Oslo, l’Autorité palestinienne était seule compétente sur les questions de santé.
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Pourquoi avoir déposé une communication aussi vaine ?
Simple communication, code de Nuremberg sans existence juridique, Cour pénale internationale non compétente en matière de vaccination intérieure… : mis bout à bout, les éléments de cette prétendue plainte semblent relever d’une forme d’amateurisme juridique.
« C’est surtout politique et stratégique de faire appel [au code de Nuremberg], parce que cela renvoie à la Shoah, et suscite l’attention au niveau national et international, considère Bérangère Taxil. C’est ce qu’on appelle un “contentieux stratégique”. Je ne pense pas que l’association pense une seule seconde que sa plainte soit entendue et puisse gagner. » Il s’agit plutôt, selon elle, d’un « pamphlet » à l’objectif « purement médiatique » : faire parler. Sur ce point, au moins, ses auteurs antivaccins ont réussi leur opération.
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